Encore récemment, John Kirby, le porte-parole du Conseil américain de sécurité auprès de la Maison-Blanche, a fait état devant les médias des estimations des pertes humaines russes dans la guerre en Ukraine. Le plus intéressant en l’occurrence ce ne sont pas ces chiffres en eux-mêmes, qui, on s’en doute, relèvent de la désinformation pure, chose d’ailleurs des plus ordinaires en temps de guerre, mais le fait est que prié de livrer par la même occasion les pertes ukrainiennes, John Kirby s’y est dérobé, arguant que ce n’était pas à lui de le faire, qu’il laissait ce soin aux premiers concernés, les Ukrainiens, des alliés auxquels il n’entrait pas dans ses intentions de nuire de quelque façon que ce soit. S’il est si question ces derniers temps des pertes subies de part et d’autre dans la guerre en Ukraine, ce n’est pas le fait du hasard, mais c’est parce qu’un des documents secrets du Pentagone ayant circulé dernièrement sur les réseaux sociaux en faisait état justement. Et ce qu’il donnait à voir était en contradiction avec ce que l’on croyait savoir en la matière.
D’après ce document en effet, ce ne sont pas les Russes qui avaient jusque-là subi les plus grosses pertes humaines mais les Ukrainiens, à l’opposé donc de ce qui se racontait à ce sujet dans les médias. Il ne restait plus aux Occidentaux, démentis par les fuites du Pentagone, que les Américains appellent maintenant les «Fuites de Discord», d’après la plateforme sur laquelle elles sont apparues en premier, qu’à attirer l’attention du public sur le fait que ces chiffres n’étaient pas les chiffres originaux, que les Russes avaient eu le temps de les arranger à leur avantage. Le but de John Kirby était donc de les rétablir dans leur vérité. Mais on dirait par peur qu’une autre fuite favorable aux Russes survienne, il a préféré ne les donner qu’à moitié, de sorte qu’on ne puisse établir une comparaison entre les pertes des deux belligérants. C’est tout autre chose que l’on retiendra, à savoir que les pertes ukrainiennes même au cours des derniers mois sont en réalité encore supérieures à celles des Russes, et que c’est pour cela précisément qu’il les a gardées pour lui-même. Mais il y a plus. Kirby fait semblant de ne se préoccuper ce faisant que des sentiments des Ukrainiens, qu’il ne veut nullement froisser. En réalité, cette question des pertes est partout en Occident une question de politique interne. Si comme le laissent penser les «Fuites du Pentagone», il y a eu plus de morts et de blessés côté ukrainien que côté russe, alors cela voudrait dire que la guerre n’est pas en train d’être gagnée, mais au contraire d’être perdue, à la fois par les Ukrainiens et par les Occidentaux. Les opinions occidentales, à qui on n’arrête pas de dire que nombre de leurs difficultés actuelles sont dues à la guerre en Ukraine, dont au premier chef l’inflation, pourraient tout à fait perdre patience si en plus elles se rendaient compte que la défaite était au bout du chemin emprunté par leurs gouvernants. Déjà que cette guerre n’est pas à proprement parler populaire, s’il faut encore qu’elle tourne mal, les sacrifices qu’elle impose ne se justifient plus. Pire encore, ils pourraient devenir tout à fait insupportables. Dans un contexte d’appauvrissement des classes moyennes en Occident, la seule perspective d’une défaite en Ukraine pourrait menacer la stabilité interne de chacun des Etats impliqués dans le conflit.
