On sait que pour Joe Biden la Russie a déjà perdu la guerre en Ukraine, et qu’il faut seulement attendre que Vladimir Poutine reconnaisse la défaite pour que les hostilités s’arrêtent et que commencent les pourparlers de paix. Il a répété avec force cette conviction à Helsinki dans la foulée du sommet de Vilnius. Ce n’est évidemment pas des derniers développements sur le terrain militaire qu’il la tient, ni même d’ailleurs de péripéties plus anciennes, mais principalement de ce que Moscou ait tenté de prendre Kiev au début de la guerre mais n’y soit pas parvenu. En somme, pour le président américain, la guerre est perdue par le camp donné vainqueur à ses débuts dès lors qu’il ne l’a pas gagnée. Ce n’était pas seulement l’échec devant Kiev que les Occidentaux faisaient valoir pour décréter dès les premiers mois de la guerre que la Russie l’avait d’ores et déjà perdue, ils mettaient en avant son isolement au plan international en même temps que l’effondrement annoncé de son économie du fait des sanctions prises par eux à son encontre, en plus de l’élargissement de l’Otan à la Finlande et à la Suède.
Pour l’isolement de la Russie, on a pu en prendre ces dernières heures l’exacte mesure. Le deuxième sommet Russie-Afrique, qui vient de se terminer à Saint-Pétersbourg, en présence de 49 pays africains sur un total de 54, dont certains ont condamné l’invasion de l’Ukraine, a apporté la preuve de l’inanité occidentale à cet égard. Un pays de la dimension de la Russie n’est pas isolable en fait. Quant aux sanctions économiques, chacun se rend bien compte qu’elles se sont retournées contre ceux qui les ont prises, dont les économies sont en récession, certes non pas de ce seul fait, mais celui-ci n’a toutefois rien arrangé, bien au contraire. La Russie peut se servir d’arguments d’une veine comparable à ceux auxquels a recours Biden pour établir sa défaite pour rétorquer que tout au contraire elle est en train de gagner la guerre. N’a-t-on pas tout fait pour l’isoler ? Or elle ne l’est pas. Elle pourrait même soutenir que son influence dans le monde s’est accrue depuis le 24 février de l’année dernière. Son invasion de l’Ukraine, pour illégale et même condamnable qu’elle soit au regard du droit international notamment, est en train de préparer le terrain à un nouvel ordre mondial, dans lequel la planète entière moins les Occidentaux trouvera son compte. La Russie a joué un rôle essentiel dans l’histoire mondiale du siècle précédent, par la révolution de 1917 dans un premier temps, par sa victoire sur le nazisme dans un deuxième. Elle est probablement en train de changer la face du monde par sa guerre en Ukraine, mais uniquement si la victoire en définitive lui revient. Car si au contraire elle la perd, l’ordre unipolaire inique actuel non seulement sera sauvé mais sortira plus fort de l’épreuve subie. Aujourd’hui, c’est donc l’avenir du monde qui se joue en Ukraine. Si cela ne tenait qu’à elle, l’Afrique aurait choisi un autre champ de bataille pour faire émerger le monde multipolaire qu’elle aussi appelle et depuis longtemps de ses vœux. Car elle a de la sympathie pour l’Ukraine, dans laquelle elle verrait plutôt un pays frère. Ce sont les Occidentaux qui ont voulu que ce soit sur son territoire et par son intermédiaire que se déroule le premier acte d’une guerre mondiale à l’ombre des arsenaux nucléaires de ses principaux protagonistes.
