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mardi 19 mars 2024

Le coupable idéal

A l’exception du président ukrainien Volodymyr Zelensky, et d’un ancien Premier ministre polonais, personne dans les pays géographiquement proches du lieu de l’incident, la mer Baltique, n’est allé jusqu’à accuser directement la Russie d’être derrière les fuites de gaz survenues dans les deux gazoducs Nord Stream. En l’espèce, la retenue observée est d’autant plus remarquable ou méritoire que tous ceux qui se sont exprimés en leur nom ont été d’accord pour y voir plus qu’un acte de malveillance délibéré, un acte de sabotage, un terme bien sûr appelé par le contexte de guerre actuel. Les Danois, les plus près de l’endroit des fuites, au nombre de trois, ont dès le départ exclu toute autre explication. Les Suédois et les Allemands ont abondé dans le même sens avec une conviction à peine plus mesurée. Quant aux Polonais et aux Ukrainiens, il n’y a pas que leur russophobie qui explique leur promptitude à désigner le coupable, il faut aussi se rappeler qu’ils ont toujours été hostiles aux deux gazoducs, et cela pour des raisons purement économiques. L’intérêt principal de Nord Stream pour les Russes, c’est qu’il permet de contourner l’Ukraine, ce qui a aussi pour conséquence de la priver de redevances loin d’être négligeables.

L’opposition de la Pologne est d’un autre ordre, ce pays ayant pour projet de devenir la plaque tournante en Europe du gaz liquéfié en provenance des Etats-Unis, un rôle équivalent à celui que Nord Stream accorde à l’Allemagne. Enfin, the last but not the least, il y a les Etats-Unis qui rejettent dans le principe même non seulement les deux gazoducs, mais toute dépendance européenne à l’énergie russe. Leur opposition a été constante à cet égard, même s’ils ont dû la moduler selon les circonstances. Elle s’est naturellement enhardie avec le déclenchement de la guerre en Ukraine, les Etats-Unis prenant prétexte sur celle-ci pour obliger l’Allemagne à ne pas mettre en service Nord Stream 2. Il est même arrivé aux Américains de menacer de s’en prendre directement à lui ; autrement dit, de le saboter, ou même de le détruire entièrement. La chose est dans nos moyens, a averti Joe Biden, il y a de cela quelques mois, lors d’une conférence de presse conjointe avec l’actuel chancelier allemand. Enfin, il faut noter que cette opposition des Etats-Unis est aussi bien politique qu’économique. Politique, en ce sens qu’ils n’admettent pas que leurs alliés européens soient tributaires du gaz russe. Economique, parce qu’ils ont leur propre gaz à écouler en Europe, quoiqu’il soit de schiste et qu’il revienne plus cher que le gaz russe. Si donc il y a dans l’affaire en cause un coupable en quelque sorte idéal, qui en tout cas vient le premier à l’esprit, ce sont les Etats-Unis. Ce n’est nullement la Russie, qui elle serait plutôt la victime, le bien endommagé lui appartenant. Si pour trouver un coupable, il suffit de trouver une réponse à la question de savoir à qui profite le crime, en l’occurrence l’affaire semble entendue : les Etats-Unis, qui veulent à la fois épargner à leurs alliés toute dépendance envers la Russie et éliminer un concurrent économique. Les Européens doivent d’ailleurs s’en douter un peu. N’empêche, ceux des leurs qui ont parlé d’acte de sabotage, peuvent bien avoir bientôt à le regretter. Les termes employés par eux désignent implicitement la Russie comme le saboteur. S’il s’avère qu’elle n’y est pour rien, ces mêmes termes vont devenir particulièrement gênants.

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