Cela fait près de deux semaines que Recep Tayyip Erdogan a décidé de se retirer du premier traité contraignant au monde pour lutter contre les violences faites aux femmes, et la contestation est toujours forte dans son pays qui enregistre l’un des taux les plus élevés au monde de féminicides. Pour le deuxième week-end d’affilée, des centaines de manifestants sont descendus dans la rue en Turquie afin de protester contre la décision du président islamiste. Il y a dix jours déjà, plusieurs milliers de personnes avaient manifesté pour demander au président de revenir sur sa décision. Dans un décret publié dans la nuit du 20 au 21 mars, Erdogan avait annoncé le retrait de son pays de la Convention d’Istanbul, premier traité international à fixer des normes juridiquement contraignantes dans une trentaine de pays pour prévenir la violence sexiste. Cette décision, prise alors que les meurtres de femmes n’ont cessé d’augmenter depuis une décennie en Turquie, a suscité la colère des organisations de défense des droits des femmes et des critiques de l’Union européenne, de Washington et du Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU. Justifiant la décision de se retirer, la Présidence turque a affirmé la semaine dernière que l’instrument avait été «détourné par un groupe de personnes tentant de normaliser l’homosexualité», ce qui, selon elle, était «incompatible avec les valeurs sociales et familiales de la Turquie». Dans le quartier de Kadiköy à Istanbul, des centaines de femmes ont à nouveau exhorté le président turc à faire marche arrière. À Ankara, un petit groupe de femmes a manifesté dans le centre-ville, entouré par la police anti-émeute. Dans la capitale turque comme à Istanbul, des chants de «nous n’avons pas peur, nous ne resterons pas silencieux, nous n’obéirons pas» ont été entendus. L’annonce de la mort d’une jeune fille enceinte de 17 ans, poignardée dans la province égéenne d’Izmir selon l’agence de presse officielle Anadolu, suscitait samedi un grand émoi. Le suspect serait l’homme avec lequel elle vivait. En 2020, 300 femmes ont été assassinées en Turquie et il n’y a aucun signe de ralentissement de cette tendance, avec 87 femmes tuées jusqu’à présent cette année, selon le groupe de défense des droits des femmes «We Will Stop Femicide Platform». Le président des États-Unis, Joe Biden, est même intervenu sur la question, se disant «profondément déçu» dimanche de la décision d’Erdogan. «C’est un pas en arrière extrêmement décourageant pour le mouvement international contre les violences faites aux femmes», a-t-il déploré dans un communiqué. Le retrait «soudain et injustifié» de cette convention est «profondément décevant», a dénoncé Joe Biden. «Les pays devraient s’atteler à renforcer et renouveler leurs engagements à éradiquer les violences faites aux femmes, pas à rejeter des traités internationaux destinés à protéger les femmes et exiger des agresseurs qu’ils rendent des comptes», a-t-il regretté. États-Unis et Turquie, tous les deux membres de l’Otan, ont des relations extrêmement tendues depuis 2016 et le Président Erdogan ne s’est toujours pas entretenu avec Joe Biden depuis l’arrivée de ce dernier à la Maison-Blanche en janvier. La semaine dernière, Washington avait déjà dénoncé les tentatives des autorités turques de faire interdire le principal parti pro-kurde. Le président turc continue ainsi à s’isoler encore un peu plus diplomatiquement, alors que ses ministres tentent depuis le début de l’année de convaincre les Européens que la Turquie ambitionne toujours d’intégrer l’Union européenne et qu’elle poursuit l’harmonisation de sa législation dans ce sens. Reste à voir combien de temps l’Europe et les États-Unis garderont patience face au comportement du président islamiste qui semble décidé, contrairement à ses déclarations, à faire revenir son pays des dizaines d’années en arrière, avec de surcroît une économie qui ne cesse de dépérir.