Se faire voler un gros contrat commercial, qu’on avait acquis à la sueur de son front et sur la base de ses seuls mérites, et par l’un de ses plus grands amis, qui lui par-dessus le marché semble ne s’être donné aucune peine pour opérer dans votre dos ce tour de pickpocket, c’est là le genre même d’histoire qu’aucun pays n’aimerait voir lui arriver. Une si grosse somme d’argent partie en fumée du jour au lendemain, sur laquelle on a déjà tiré bien des plans sur la comète, est une mésaventure en soi sûrement fort douloureuse à vivre. Sur ce plan, la réaction de la France, qui s’est fait arracher le contrat du siècle conclu avec les Australiens par les Américains, par les seuls Américains, la perfide Albion comptant pour du beurre dans cette sombre affaire, est donc tout à fait compréhensible. La précision sur l’insignifiance du Royaume-Uni dans le crime est française. Et pour cause, c’est même en l’occurrence la seule consolation que les Français se sont trouvée: afficher leur mépris de la Grande-Bretagne, en feignant de n’avoir rien à lui reprocher dans ce cas précis, à elle en particulier. Autrement, ce serait lui faire le plaisir de se considérer trompée par elle, par elle aussi, alors que Boris Johnson n’a fait que répondre présent quand il a plu à Joe Biden de l’actionner.
Impossible de s’expliquer autrement que la France n’ait pas rappelé pour consultation son ambassadeur au Royaume-Uni, alors qu’elle a mandé sur-le-champ ses représentants aux Etats-Unis et en Australie. Pour autant, il ne semble pas qu’elle n’ait perdu en l’occurrence qu’une grosse somme d’argent. Le vrai coup, ce n’est pas dans le dos qu’il lui a été porté, mais à son ego, à son image de marque. Une puissance à qui on peut faire pareil affront, en est-elle une encore ? A priori non. Il est des questions qui au fond sont des réponses. La France avait fini par admettre qu’elle était une puissance moyenne. Or, ce que les Américains et les Australiens se sont permis à son égard semble dire qu’elle n’est même plus une petite puissance, ou du moins qu’elle n’est même plus perçue comme telle par ses alliés. Comme telle, elle s’attirerait plutôt des sympathies à travers le monde. En aucun cas toutefois celle de la Russie, qui n’a pas manqué de lui rappeler la façon cavalière dont elle s’était prise en 2015 pour rompre le contrat Mistral passé avec elle. Entre Américains et Australiens, elle se croit avoir été plus trompée par les premiers que par les seconds, qui après tout ne sont que des vassaux. Et si c’était les Australiens qui avaient manœuvré les Américains ? Voulant dès le départ des sous-marins américains, c’est-à-dire à propulsion nucléaire, mais ne pouvant les obtenir, les dirigeants australiens ont mis au point un stratagème comportant deux étapes, en vue d’arriver à leurs fins. Ils s’adressent en premier à la France, tablant sur le sentiment français de leur opinion, qui ne pardonne toujours pas à la France ses essais nucléaires dans le Pacifique. La deuxième difficulté à aplanir concerne les Américains, qui tant qu’ils n’avaient pas pris la mesure du danger chinois sur leur leadership mondial, étaient portés à s’en tenir au principe de non-prolifération nucléaire. Il se trouve que cet obstacle est tombé. Donc les temps sont mûrs pour un coup de Trafalgar. La commande est passée à l’Oncle Sam, qui l’accepte, d’autant plus que cela lui permet de faire de l’Australie une base avancée pour sa marine. Dans cette hypothèse, il est vrai, l’opinion australienne est supposée plus antifrançaise qu’antinucléaire. Une enquête d’opinion pour tirer cela au clair ne serait pas de trop.