Il est des élections qui ne tranchent rien, qui au contraire font exprès de tout laisser en suspens, puisque même ceux qui les ont perdues estiment les avoir en réalité remportées. C’était déjà le cas lors de la présidentielle américaine de novembre 2020, où le perdant, Donald Trump, était à ce point convaincu d’en être le véritable vainqueur qu’il avait lancé un groupe de ses partisans sur le Congrès au moment précis où celui-ci était occupé à en entériner les résultats, à ses yeux le produit d’une fraude massive. Pour preuve que cette présidentielle n’a rien réglé, c’est que Donald Trump est toujours là, et qu’il entend le prouver dès les prochaines élections, celles de mi-mandat prévues pour novembre prochain, que lui et son camp pourraient d’ailleurs très bien gagnées. Ce qui le cas échéant serait presque la preuve qu’en effet il n’avait pas perdu la présidentielle d’avant. En tout cas, c’est ce que lui ne manquerait pas de dire si à cette occasion les républicains arrachaient aux démocrates le contrôle des deux chambres.
C’est encore le cas à la suite du deuxième tour de la présidentielle française où chacun des trois candidats arrivés en tête lors du premier s’est cru fondé de se poser en vainqueur, y compris Jean-Luc Mélenchon, qui pourtant n’était pas en lice dimanche dernier. Marine Le Pen, bien que largement battue par le président sortant, Emmanuel Macron, a crié victoire avec non moins de conviction que ce dernier, tout de même le véritable et unique vainqueur. Cela ne tient pas seulement au fait qu’en France il ne suffit pas d’élire un président, il faut encore lui donner les moyens de gouverner au cours de ce qui ressemble fort à un troisième tour : les législatives venant dans la foulée de la présidentielle. La réforme constitutionnelle faisant suivre immédiatement la présidentielle par des législatives avait précisément pour objet d’empêcher toute cohabitation. Mais si les perdants se mettent eux aussi à crier victoire, le soir du deuxième tour, n’y a-t-il pas risque que les électeurs les croient, et vont aux législatives dans le même état d’esprit qu’à la présidentielle ? En France, à la différence de ce qui s’était passé aux Etats-Unis, les perdants ne contestent pas les résultats. Ce qu’ils contestent, c’est
d’avoir perdu, ce qui est peut-être plus problématique encore. Pour ne parler que du deuxième tour de la présidentielle, la candidate d’extrême droite a amélioré son score de quelque trois millions de voix par rapport à l’élection de 2017, alors que Macron en a perdu deux. Quand quelqu’un passe de 10 millions de voix en sa faveur à 13 millions, quel qu’il soit, Le Pen ou un autre, on peut comprendre que la défaite lui soit douce. Tellement douce qu’elle a pour son palais le goût de la victoire. On peut en dire autant de Mélenchon, qui de candidat parmi d’autres au sein de la gauche, se retrouve le leader incontestable de sa famille politique au sens large du terme. Il n’est pas arrivé au deuxième tour sans doute, mais le score qu’il a réalisé au premier lui apporte par avance bien des compensations. Pour la première fois on a vu quelqu’un qui n’avait pas été dans la course prendre la parole dès l’annonce des résultats pour mobiliser ses troupes, à croire que la partie ne faisait que commencer. Il est un fait que si le vainqueur perdait aux législatives de juin, ce serait comme s’il avait perdu le 24 avril. Mélenchon n’a d’ailleurs pas été le seul à revenir à la charge. Eric Zemmour, dont le score au premier tour n’en fait guère le leader de son camp, est allé de sa propre déclaration… de vainqueur.