La nouvelle n’a pour ainsi dire été annoncée que pour être démentie : le même médium en effet qui l’a rapportée a été assez honnête ou seulement assez professionnel pour citer une source sérieuse la niant absolument. Le même article la claironne et l’annule en même temps. Mais comme en l’occurrence son auteur ne s’est guère soucier d’équilibrer les deux plateaux de la balance, le lecteur a plus retenu elle que son contraire. Le «Financial Times», puisqu’il c’est de lui qu’il s’agit, n’est pourtant pas réputé pour faire dans le sensationnel, et encore moins dans le canular. Le fait supposé a trait à une rencontre entre Iraniens et Saoudiens qui se serait déroulée à Baghdad, en vue de rien d’autre que du rétablissement de leurs relations diplomatiques, rompues depuis maintenant des années. Cette entrée en matière aurait été, qui plus est, tellement fructueuse que les deux parties auraient décidé de se revoir très bientôt en vue de pousser plus loin leur affaire, et à terme de la faire aboutir. On a beau avoir lu quelques lignes plus loin qu’une haute personnalité saoudienne avait nié absolument la nouvelle, on se prenait quand même à se dire qu’après tout il n’y avait pas de fumée sans feu, et que lorsqu’une rupture avait été aussi profonde et conséquente, il allait de soi que la normalisation soit en zigzags et même non sans des reculs.
Ce qu’il y a à retenir en tout premier lieu, c’est qu’un journal, et non des moindres, a été amené, on ne sait trop par quel biais, à faire état d’un processus en cours de normalisation entre deux pays que tout a opposé ces cinq ou six dernières années. Entre l’Iran et l’Arabie saoudite, le rétablissement des relations semble en effet aussi peu envisageable
qu’une normalisation de l’Iran avec Israël. Le seul fait donc qu’il en soit question est déjà significatif, à la limite même si rien ne s’était produit de nature à l’accréditer. Dans la région concernée, leur rupture, du fait de leurs poids, a naturellement produit ses effets. On peut même dire plus : elle l’a remodelée. Ainsi, sans elle, il n’y aurait probablement pas aujourd’hui de guerre en Syrie, ni au Yémen, ni de violences en Irak, ni de crise économique insurmontable au Liban. Il n’y aurait pas eu non plus de normalisation avec Israël de la part ni des Emirats, ni du Bahreïn, ni du Soudan ni du Maroc, bien que ces deux derniers ne soient pas des pays moyen-orientaux. A contrario, une réconciliation entre eux deux mettrait sans doute rapidement fin à la guerre au Yémen, rétablirait la situation au Liban, aiderait grandement à la paix en Syrie, et stabiliserait dans une large mesure l’Irak. Le seul pays de la région qui aurait quasiment tout à perdre dans ce cas-là, c’est Israël, qui alors risquerait de voir non seulement s’arrêter net la normalisation de sa situation dans son environnement immédiat, mais s’enclencher la rupture de ces mêmes relations qui viennent juste de se nouer. Tout ce qu’il pourrait faire pour empêcher cette tournure des événements, on peut être sûr que du moins il le tenterait. Il ne pourra pas pour autant empêcher les deux pays en question de se réconcilier si telle est leur volonté. Le véritable moteur des Etats étant leurs intérêts, c’est en définitive à l’aune de ceux-ci qu’il convient de mesurer la possibilité du rapprochement irano-saoudien dans un horizon prévisible.