Un peu plus de deux semaines après le séisme politique du 5 juillet, est-on aujourd’hui davantage en mesure de devancer le cours prochain des événements en Tunisie, c’est-à-dire de le deviner sur la foi d’un faisceau d’indices réels et concordants ? Et avec une marge d’erreur bien plus réduite maintenant que ce n’était le cas au début de la phase actuelle de transition ? Oui, d’autant plus qu’on est beaucoup aidé dans cet exercice par ces données de première main que sont les déclarations du président Saïed, qui sont allées se multipliant en même temps que se précisant, jusqu’à finir par exclure tout retour à l’avant-5 juillet. A partir de ce moment, la vue était dégagée dans une bonne mesure, même si le principal acteur, Kaïs Saïed, n’a pas encore tout dit sur ses intentions. Sans doute conserve-t-il dans sa manche des cartes qu’il abattra le moment venu, qui sont susceptibles d’en surprendre plus d’un. Dire qu’il n’y aura pas de retour en arrière est certes particulièrement éclairant quant à la suite des événements, pour autant cela ne suffit pas pour voir se dessiner devant soi la feuille de route dont tout le monde, en Tunisie et hors d’elle, attend la publication.
Des parties, dont l’UGTT, avaient même cru au départ pouvoir lui venir en aide en en lui suggérant une, de feuille de route, ou plutôt en lui faisant savoir qu’ils en avaient une de toute prête à leur niveau, dont il pourrait peut-être faire son profit. L’UGTT a même osé lui donner une leçon de droit constitutionnel, lui conseillant notamment de nommer non pas un Premier ministre mais un chef de gouvernement, un distinguo un moment en vogue chez le voisin algérien. Quelques jours plus tard, l’élaboration d’une feuille de route détaillant les étapes du retour à la normalité est devenue une prérogative du seul président Saïed. Plus personne ne s’avise de s’en mêler. Tout ce que l’on sait, c’est qu’elle ne saurait trop tarder à voir le jour. On en sait néanmoins suffisamment pour savoir que le distinguo de l’UGTT n’a pas beaucoup de pertinence, du moins pour l’heure, puisque quel que soit le titre qui sera le sien, Premier ministre ou chef de gouvernement, la personne qui sera choisie conduira un exécutif qui de toute façon sera provisoire. Ce gouvernement durera le temps nécessaire pour faire tenir des élections. Que seront ces dernières ? Des législatives ? Couplées ou non avec une présidentielle ? Auquel cas, dans quel ordre ? Autant de questions auxquelles il est impossible de répondre avant que la feuille de route ne soit rendue publique. Or elles sont loin d’être les plus importantes. Le principe du non- retour en arrière laisse indéterminé quelque chose de beaucoup plus important : la nature du régime. Comme le président Saïed n’a jamais caché sa préférence pour le régime présidentiel, il semble invraisemblable qu’il laisse sans changement la Constitution en vigueur, celle de 2014, avec le risque de se retrouver plus tard dans une crise politique comparable à celle qui prévalait avant le 5 juillet. Plus que les mesures d’exception déjà prises, c’est la paix civile régnant aujourd’hui dans le pays qui lui montre la voie à suivre. Cette paix est une feuille de route en filigrane. La sienne ne devra en être que l’interprétation ; mieux, que l’exacte traduction. Que veulent les Tunisiens ? Un gouvernement dont la seule ambition est de les servir. Ils ne veulent plus d’un régime où un parti disposant d’une minorité de sièges a gouverné le pays avec la même morgue que s’il avait remporté aux élections la majorité absolue des sièges. Et qui pendant tout ce temps a pris un soin particulier à rabaisser un président bien mieux élu que lui tout entier. Et qui même a pensé le révoquer.