On savait que comme toute guerre, celle qui a éclaté en Ukraine il y a encore moins de trois semaines, et que néanmoins on est impatient de voir s’arrêter comme si elle était là depuis au moins des mois, ne sera pas sans réserver des surprises, détrompant son monde sur un point, le confortant au-delà du concevable sur un autre, mais le prenant complètement au dépourvu sur un troisième. La guerre n’en serait pas une à proprement parler si elle se déroulait exactement comme l’ont prévue les stratèges. Mais sûrement il n’y avait que les initiés pour s’attendre à ce que l’armée russe mette la main en quelques jours seulement sur des documents aussi compromettants pour les Etats-Unis et l’Ukraine que ceux qui les mettent tous deux en cause dans des recherches consacrées au développement d’armes biologiques. Les révélations russes à cet égard vont plus loin encore, puisqu’elles précisent contre qui ces armes une fois mises au point doivent servir, de quelle façon, et par quels vecteurs elles seront livrées. Les Russes, et dans une moindre mesure les Chinois, avaient à maintes reprises alerté la communauté internationale sur l’existence de laboratoires de recherche américains disséminés dans le monde, spécialisés dans le développement de l’arme biologique, évidemment sans susciter autre chose qu’incrédulité et même moquerie de la part du « monde civilisé », pour qui une activité de cette nature ne pouvait être menée que par des Etats voyous, ou alors des dictatures sans aveu, justement comme elles, la Russie et la Chine. Il est impensable que la première des démocraties, le leader du monde libre, l’empire du Bien pour ainsi dire, se livre dans le secret, et ailleurs que chez lui, à des manipulations sur le vivant dans le but de fabriquer des agents pathogènes, avant de les expédier à l’ennemi, le Russe ou le Chinois, se servant pour cela ou bien des chauves-souris, ou bien des oiseaux migrateurs, ou bien des reptiles, ou bien d’autres bêtes non moins innocentes. Mais comme ce n’est pas la première fois que les Russes accusent les Américains de contrôler des laboratoires en Ukraine notamment dédiés à ce genre de science, il faut se garder d’y ajouter foi par simple réflexe anti-américain. La précipitation en l’espèce serait d’autant plus mal venue d’ailleurs que les Russes, qui ont appelé hier vendredi à une réunion du Conseil de sécurité sur la question, promettent d’apporter bientôt à l’opinion mondiale au moins une partie des preuves de ce qu’ils avancent. A l’une de leurs premières réactions, celle de Victoria Nuland, la sous-secrétaire d’Etat pour les Affaires politiques, les Américains n’ont pas nié de façon catégorique l’existence de ces « bio labos » en Ukraine, ni même d’en être une partie prenante aux côtés des Ukrainiens, justifiant leur implication par le souci d’empêcher la prolifération de ce types d’armes, tout autant que par celui de les mettre éventuellement hors de portée des Russes. Si ce n’est pas là un aveu, ce n’est en tout cas pas un démenti indigné, dans le style de ceux qu’auront soin par la suite d’apporter leurs intervenants ultérieurs. Il n’en reste pas moins que s’il ne fallait se forger une opinion en la matière en ne se reposant que sur la crédibilité des protagonistes, il n’y aurait pas d’hésitation à avoir, ce sont les Russes qu’il faudrait croire. L’ampoule d’anthrax de Colin Powell, présentée comme la preuve irréfutable de la possession par les Irakiens d’armes de destruction massive, a porté à la sincérité américaine un coup dont elle ne s’est pas encore relevée.