Entre autres spécificités américaines, il y a ceci qu’un gouvernement ne peut recourir à l’endettement ni pour financer ses projets en plan ni seulement pour subvenir à ses propre besoins qu’en deçà d’une certaine limite antérieurement fixée par une loi dont l’objet est justement de fixer le plafond de la dette publique. Une fois ce plafond atteint, l’exécutif ne peut plus se financer par emprunt à moins de faire relever ce plafond au moyen d’une nouvelle loi dûment votée par le Congrès. Cela ne pose aucun problème quand l’exécutif et le législatif appartiennent à la même famille politique. Il peut en être autrement en revanche, lorsque l’administration et le législatif sont issus de partis opposés, comme c’est pour moitié le cas aujourd’hui, avec un président démocrate, un Sénat majoritairement démocrate, mais une Chambre des représentants dominée par les républicains. Dans ce genre de situation, une sorte de guerre de nerfs éclate entre l’administration et ses opposants au Congrès, d’autant plus intense que l’on s’approche du plafond de la dette, ou plutôt du jour où on ne peut que le toucher de la tête.
Dans le cas présent, ce jour où l’exécutif n’a plus droit à des dépenses assurées par la dette, autres que celles qui sont considérées comme obligatoires et qui elles doivent se poursuivre d’une manière ou d’une autre, tombe le premier jour de juin, c’est-à-dire dans moins d’une semaine. Si d’ici là aucun accord n’était trouvé entre le président Biden et le speaker de la Chambre des représentants, le très républicain McCarthy, les Etats-Unis se trouveraient pour la première fois de leur histoire en cessation de paiement. Ils feraient, autrement dit, défaut sur leur dette, qui monte à plus de 30 000 milliards de dollars. On imagine le choc qui en résulterait à la fois sur leur économie, sur celle du monde et sur le marché financier mondial. L’administration américaine serait contrainte de mettre à l’arrêt un certain nombre de ses services. Elle ne laisserait en fonction que ceux qui sont le plus nécessaires au fonctionnement de l’Etat. On appelle cette situation un «shutdown», une fermeture. Le mot est suffisamment expressif pour ne pas avoir besoin de s’appuyer sur un adjectif. Maintenant, il convient de se rappeler que s’il a existé un certain nombre de fermetures dans l’histoire récente des Etats-Unis, aucune cependant n’a débouché sur une quelconque cessation de paiement. Il est très probable, pour ne pas dire quasi-certain qu’il en sera de même cette fois-ci. Pour autant, il se peut que nul accord ne soit trouvé d’ici le 1er juin, et qu’un shutdown plus ou moins étendu soit en conséquence instauré. Mais vraisemblablement on finira quelque temps plus tard par s’entendre (la moyenne des fermetures étant de 9 jours, la plus longue s’étant étalée pour sa part sur trois semaines) sur un relèvement du plafond de la dette, après quoi tout rentrera dans l’ordre. Il n’y a qu’à voir l’espèce de placidité dont font montre les marchés financiers, d’habitude si prompts à s’alarmer, pour s’en convaincre ou pour se rassurer. Pour eux, pas d’inquiétude à avoir, la classe politique américaine n’étant pas assez suicidaire pour provoquer la banqueroute globale. Dans quelques jours, peut-être même avant le 1er juin, elle sera passée à autre chose. A l’évidence, les marchés n’accordent aucune importance au fait que la classe politique se trouvant déjà en pleine campagne pour la présidentielle soit portée à agir différemment que par le passé dans des situations similaires. Si les Américains eux-mêmes, après tout les premiers concernés, ne se voient pas en train de vaciller au bord du précipice, on serait mal venu de trop s’inquiéter à leur place.