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vendredi 9 juin 2023

Tunisie, la cohabitation impossible

En Tunisie, il existe deux dates pour célébrer la Révolution, c’est-à-dire le renversement de Zine el Abidine Ben Ali, deux jours dans l’année au lieu d’un seul, un 14 janvier, justement tombé samedi dernier, renvoyant à la chute de Ben Ali en 2011, et un autre, le 17 décembre, décidé par le président Saïed après le «redressement» du 25 juillet et qui lui se réfère à la mort de Mohamed Bouazizi. Si au moment des faits, les deux événements, l’un le déclencheur et l’autre l’aboutissement, ou si l’on préfère, l’un la cause et l’autre son effet, se sont déroulés à peu de distance l’un de l’autre, il en est autrement de leurs célébrations, qui elles se tiennent quasiment aux deux bouts opposés de l’année, comme pour mieux se distinguer l’une de l’autre et qu’il ne soit ainsi possible à personne de les confondre. Quelqu’un qui ne serait pas suffisamment au fait des réalités tunisiennes se récrierait peut-être à cela que voilà un pays si parfaitement divisé en deux que même l’acte fondateur unique qu’est en principe la Révolution est fêté à deux moments différents de l’année. C’est peut-être, ajouterait-il pour sa propre gouverne, que les deux camps ne mettent pas le même contenu dans ce mot de révolution, qu’ils ne confèrent pas à la chose la même signification, et que pour bien afficher leur dissension à cet égard, ils n’ont pas trouvé mieux que de se donner deux jours de révolution.

Mais il suffit de se rapprocher de la scène pour voir qu’en fait, il y a une seule masse, une société, à la marge de laquelle une minorité s’est agitée ce samedi, à peine des milliers, et qui en plus ont manifesté chacun de leur côté. Ceux qui fêtent le 14 janvier célèbrent davantage le jour de leur arrivée au pouvoir que celui de la chute de Ben Ali. Et ceux qui préfèrent le 17 décembre se recueillent en souvenir d’un supplice, celui de Bouazizi, dans lequel continuent sûrement de se reconnaître les classes populaires tunisiennes. Le 14 janvier 2011, c’est d’un côté la fuite de Ben Ali, et de l’autre, l’arrivée au pouvoir d’Ennahdha, poussant devant elle, pour mieux se cacher dans leur ombre, ses alliés laïcs en quête d’un destin. Puis les islamistes, qui au début s’autolimitaient, laissant le devant la scène, les beaux rôles aux loups solitaires, aux généraux sans troupes, qui leur devaient tout, se sont mis à s’enhardir, à se dire pourquoi pas à nous, et tout de suite, les beaux rôles, les fonctions de premier plan, les honneurs, le prestige et les dorures. Le fait est que si Kaïs Saïed n’avait pas réagi de la façon que l’on sait, s’il n’avait pas mis un brusque coup d’arrêt au processus qui culminait et dont il était sur le point de faire les frais, il ne serait pas en fonction à l’heure qu’il est. Il aurait été renversé, et remplacé, ou par Ghannouchi en personne ou par un autre Hichem Mechichi, qui serait un jouet entre ses mains. L’exception tunisienne est que la Tunisie a été le seul pays arabe où les islamistes, pacifiquement et au nom de la démocratie, ont pris le pouvoir et l’ont réellement exercé de la chute de Ben Ali le 14 janvier 2011, à la leur le 25 juillet 2021. La nouvelle année ne commence pas sans montrer que le travail n’est pas achevé, qu’il reste des poches de résistance à réduire de l’ancien régime dominé par Ennahdha. On n’en veut pour preuve que les propos tenus par des chefs de l’opposition samedi dernier, dans lesquels ils promettent au président en exercice le même sort qu’à Ben Ali. Entre les deux camps, il saute aux yeux que la cohabitation est impossible.

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