Au mépris des usages, trois chefs de gouvernement européens (le chancelier allemand, le président du gouvernement espagnol et le Premier ministre portugais), ont fait paraître la veille du deuxième tour de la présidentielle française une tribune dans un journal parisien bien connu dans laquelle ils appelaient les électeurs français à se détourner de la candidate d’extrême droite en raison des dangers qu’elle représentait à la fois pour la France et pour l’Europe. En dépit de son incongruité, mais aussi de ce qu’elle comportait d’immixtion dans les affaires internes d’un autre pays, l’initiative n’a pas fait de vague, ni en France ni ailleurs en Europe. Tout au contraire, on pourrait même dire qu’elle est passée comme une lettre à la poste, de même que si cela s’est toujours fait que des dirigeants en exercice interviennent avec leurs plus gros sabots dans une élection se tenant dans un autre pays que le leur. Deuxième sujet donc d’étonnement : le peu de réaction, que ce soit d’ailleurs pour s’en indigner ou pour s’en féliciter, qu’un geste aussi inhabituel a suscité dans le pays concerné. Evidemment, ç’aurait été autre chose si la tribune avait été d’une autre teneur.
Passe encore si le danger était réel, si Marine Le Pen était en train de remporter l’élection, comme ç’eût été le cas par exemple si après le premier tour, des appels à faire barrage à Emmanuel Macron étaient montés de tout côté. Or ses chances
d’être élue étaient en réalité minimes. De ce fait même,
c’était prendre le risque de donner une furieuse envie aux électeurs de prendre le contrepied du conseil qu’on leur prodiguait, et de donner ce faisant l’avantage à la représentante de l’extrême droite. En définitive on ne sait trop ce qu’il faut retenir de cet épisode, le fait en lui-même ou le peu d’intérêt qu’il a suscité. Pas plus d’ailleurs qu’on ne sait quel en a été le véritable motif : la possible arrivée au pouvoir de l’extrême droite en France, un pays qui a son poids en Europe, ou bien le contexte européen dans lequel s’est déroulée cette présidentielle, largement dominé par la guerre en Ukraine. Une victoire de Le Pen aurait été d’autant plus intolérable pour ces trois chefs de gouvernement européens qu’elle aurait fait grand plaisir au Premier ministre hongrois, Viktor Orban, supposé grand ami à la fois de Le Pen et du président russe. Et peu importe que la montée de l’extrême droite en France ne doive rien à Orban, ni à Poutine, ni à la guerre en Ukraine. Il y a cinq ans Macron a été élu pour faire barrage à Le Pen. Même programme dimanche dernier, sauf que dans l’intervalle lui-même a perdu deux millions de voix tandis que Le Pen en a gagné trois autres. A l’évidence, c’est en France qu’il faut chercher les causes de cette descente aux enfers constante depuis maintenant des décennies. Si dans cinq ans, Le Pen, ou un autre représentant de son parti ou de son courant, ajoutait sur son nom trois autres millions de voix à ceux qui existent déjà, la réélection de Macron n’aurait servi à rien. Ce président n’a désormais qu’une seule véritable
mission : empêcher l’extrême droite d’arriver au pouvoir un jour en France. Car ce serait alors l’enterrement de cette dernière, ou plus exactement sa deuxième mort. Or à voir la progression de l’extrême droite sous son premier mandat, on peut douter qu’il soit le mieux qualifié pour cette tâche titanesque.