Si la guerre en Ukraine n’était pas déjà un enfer, il serait possible de supposer que l’annexion célébrée à grande pompe à Moscou, vendredi, de quatre régions ukrainiennes ne manquerait pas de connaître une exacerbation incandescente, comme cela ne s’est pas encore produit. Rien que pour compléter la «libération» de chacune des régions concernées, dont des parties plus ou moins grandes échappent encore à leur contrôle, et pour autant que celles qui le sont déjà ne leur sont pas reprises, tout étant possible dans un conflit de cette intensité, les Russes sont obligés de repartir à l’offensive avec plus de forces et de détermination que par le passé. Les Ukrainiens ne seront pas en reste, qui sans doute redoubleront eux aussi de combativité. Ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine, ce n’est pas une guerre entre deux pays voisins en désaccord sur un différend frontalier, mais une guerre mondiale qui aurait pu éclater ailleurs, mais qui pour leur malheur a éclaté entre eux, en attendant de s’étendre vers d’autres horizons, à l’ouest étant néanmoins la direction la plus vraisemblable.
Le sabotage en mer Baltique des deux pipelines russes Nord Stream, en définitive quel qu’en soit l’auteur, encore qu’il ne soit pas bien difficile de le deviner, montre bien que cette guerre n’a pas vocation à rester confinée dans le pays où elle a commencé, dans les limites territoriales où l’on s’efforce de la maintenir. Si elle doit encore durer, et c’est ce qu’il semble en effet, elle les débordera sûrement, et peut-être plus tôt qu’on ne serait porté à le croire ; ce sera à l’ouest, parce que là s’étendent les «terres de l’Otan», comme on dit maintenant. A l’annexion groupée opérée par Moscou, Kiev a répondu en demandant à ses alliés de l’accepter en leur sein, en somme de vouloir bien l’annexer. Il faut dire que pour le pouvoir ukrainien actuel, toute occasion est bonne à saisir pour réclamer l’intégration soit à l’Otan, soit à l’Union européenne. Simultanément aux festivités de l’annexion organisées à Moscou, Kiev a diffusé des images respirant le désespoir montrant le président Zelensky encadré de ses principaux collaborateurs signant sur une petite table nue posée à même la chaussée la demande d’intégration à l’Otan, brandissant ce faisant le droit à être traité de la même manière que la Suède et la Finlande. Le fait est que s’il y a aujourd’hui un pays qui a gagné son ticket d’entrée droit à l’Otan, c’est bien l’Ukraine, ou du moins cette Ukraine, en tout cas celle du coup d’Etat de 2014. La Suède et la Finlande ne se sont donné elles que la peine de frapper à la porte de l’Otan, et elles y seraient déjà n’était ce mauvais coucheur appelé la Turquie. Les Ukrainiens quant à eux payent de leur sang une entrée qui pourtant leur est refusée, probablement pour toujours. On ne veut même pas qu’ils fassent acte de candidature, non pas tant par crainte de la réaction russe que parce que le dispositif actuel est pour les alliés le meilleur. L’Otan ne pourra jamais aligner en Ukraine une armée meilleure que celle qui s’y trouve déjà, et qui se bat non pas pour un intérêt abstrait mais pour sa propre survie. Cette même Otan mène contre la Russie une guerre décisive, qu’elle estime pouvoir emporter, et qui, si elle savait comment s’y prendre d’un bout à l’autre, ne lui coûterait en définitive pas une seule goutte de sang. Le sang qui serait versé serait en entier ukrainien. Il a déjà beaucoup coulé ; tout indique qu’il coulera davantage.