Tigditt, située dans cette zone semi-périphérique de la commune de Mostaganem, semble être devenue le théâtre d’une exclusion croissante de la jeunesse. Dans cette cité, déjà ghettoïsée, les jeunes accumulent les mêmes contreperformances sociales, échecs scolaires, galères quotidiennes, violences, harga et recours à l’économie souterraine. Vivre jeune et à Tigditt, c’est être victime d’un cliché assombrissant, c’est aussi vivre dans un exil intérieur, dans le néant, sans perspective aucune. Ces jeunes massivement déscolarisés survivent dans un espace conflictuel, un espace hostile, un espace reconnu uniquement par sa position géographique, en bas à Tigditt dans la crevasse. Dans ce quartier, ces jeunes, nombreux, occupent un territoire qui est uniquement à eux car les autres ne descendent jamais chez eux pour essayer de les connaître ou de s’enquérir de leur situation. Ces jeunes démunis, sans emploi, sont assignés à résidence avec en plus l’étiquette tenace de l’inutilité sociale et de la dangerosité qui leur colle à la peau. Si l’on aborde le volet culturel dans ce quartier, comme définition c’est aussi complexe que les autres aspects de la vie car tout simplement cela reste inexistant. Ce faubourg, hélas, était le vivier de la ville en sportifs, musiciens et hommes de culture. Aujourd’hui, les jeunes sont victimes d’une discrimination négative juste de par le lieu où ils vivent, où ils habitent, à Tigditt.
Une jeunesse négativement discriminée…
Etre discriminé négativement, c’est être associé à un destin sur la base d’un statut que l’on n’a pas choisi, mais que les «autres» vous renvoie sous la forme d’un stigmate. Cette jeunesse est là, elle ne fait partie d’aucun programme, ni culturel ni autre, elle n’est même pas reconnue dans sa citoyenneté effective car elle occupe le ghetto. Sa situation est paradoxale, ils sont citoyens dans les documents qu’ils portent, néanmoins ils subissent un traitement différentiel et discriminant qui les disqualifie car ils sont trop loin des décideurs. On a souvent fait allusion à ces jeunes de Tigditt, dans les discours creux des politiciens et dans certaines circonstances électorales, on les a courtisés, pas plus. A Tigditt, on leur a parlé de proximité culturelle mais ils ont vu s’édifier devant leurs portes des structures hospitalières non conventionnelles, un hôpital psychiatrique et un centre de toxicomanes … là ils ont compris qu’il y a un préjugé grave. Ils ont compris que le divorce est consommé et c’est l’histoire qui est fautive. Les contradictions chez ces jeunes sont trop manifestes, car il y a des structures culturelles censées promouvoir cette jeunesse d’en bas mais elles sont trop loin de chez eux. Ces jeunes subissent la dynamique de la séparation géographique et de temps à autre ils lancent des cris de désespoir, ils essaient de s’affirmer par des bagarres générales entre clans, entre eux-mêmes. Il semblerait que cette communauté des jeunes de Tigditt fait surtout grossir les statistiques carcérales.
Une jeunesse abandonnée à son sort
Doit-on rester dans cet état de coagulation de toute une génération ? Les jeunes de ce grand quartier, qui a payé un lourd tribut durant la période coloniale, doivent aspirer à mieux et ne pas être abandonnés à eux- mêmes. L’Etat a l’obligation de se pencher sur cette situation de fatalité pour apporter des solutions à cette marginalisation. Il ne s’agit pas là de multiplier les commissariats, il s’agit de mettre sur pied une politique cohérente pour prendre en charge correctement une situation déjà diagnostiquée de dangereuse. L’Etat n’a plus le droit de s’éloigner des populations vulnérables, car à Tigditt l’Etat avec ses structures se fait de plus en plus rare. Il n’y a plus l’Etat à Tigditt. L’histoire, toute fraîche, a démontré que les jeunes de Tigditt, désœuvrés, exclus, marginalisés, sont vulnérables à toutes les manipulations. Ces jeunes sont disposés à chercher des solutions à leurs problèmes. Ces clichés malheureusement existent dans ce grand faubourg et les jeunes de Tigditt pâtissent d’une mauvaise image qui suscite souvent la peur. A défaut d’activités culturelles, formatives et économiques, le quartier invite à la violence, à l’agressivité, à la drogue et à tous les autres maux de la société. Il y a lieu de signaler que l’on a abordé la problématique qu’au masculin car au féminin cela reste à décrypter. Il est aussi nécessaire de porter une profonde réflexion afin d’envisager déjà une intégration de ce quartier dans la politique de développement local. Ceci changera peut-être chez les jeunes leur façon de regarder la vie.
Lotfi Abdelmadjid