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samedi 25 mars 2023

Soudan : coup d’Etat ou rupture unilatérale de contrat ?

Pour qu’un événement, en particulier s’il est marquant, soit en quelque sorte homologué comme tel par l’opinion commune, il ne suffit pas qu’il se produise, il faut encore qu’il résiste aux vents contraires qu’il a lui-même soulevés par son avènement. Alors seulement il mérite le nom d’événement. Il n’en serait pas digne s’il était balayé, annihilé dans ses effets, par les réactions immédiates plus puissantes que lui s’inscrivant contre lui. Les premières dépêches (car en dépit des grands médias et les chaînes d’information continue tentaculaires, les nouvelles qui comptent, celles qui dérangent peu ou prou l’ordre instantané du monde, sont apportées par des journalistes témoins isolés, comme cela se passait il y a, non pas seulement des décennies, mais des siècles) ayant pour objet les événements du Soudan ne parlaient pas de coup d’Etat, mais de tentative de coup d’Etat. Une tentative, ce n’est pas encore l’événement à proprement parler, mais cela retient déjà notre attention, nous rend disponible pour la suite, c’est-à-dire pour l’évènement. Un coup d’Etat, lui par contre, c’est toujours un événement, à moins qu’il ne soit aussitôt démenti.

Puis vient la confirmation, qui en réalité est négative, en ce sens que rien de positif ne vient contredire la première nouvelle. L’arrestation du Premier ministre, Abdellah Hamdok, au départ une possibilité, sûrement une inquiétude pour ses partisans, était d’autant plus difficile à confirmer que les communications étaient coupées. Il fallait donc du temps pour qu’elle devienne un fait établi. C’est même elle qui en se confirmant a amené les auteurs de dépêches, ces yeux fureteurs du monde, à passer de «tentative de coup d’Etat» à coup d’Etat tout court. Le mot a été employé par les véritables faiseurs, ou donneurs, de l’information, alors qu’il n’allait pas de soi. Ceux qui ont pris la responsabilité d’arrêter Hamdok, et d’autres que lui, ont été au pouvoir non seulement en même temps que lui mais au-dessus de lui. Le mot serait tout à fait à sa place si les militaires soudanais n’étaient pas au pouvoir, puis s’en étaient saisis, l’arrachant de force à ceux qui le détenaient. Beaucoup parlent aujourd’hui de putsch au Soudan, comme si le pouvoir était en certaines mains puis qu’il était passé en d’autres. D’autres croient même savoir ce qui l’a inspiré : le coup de force en Tunisie, accompli d’ailleurs non pas par l’armée du pays, mais par le président tunisien, qui lui est un civil. A bien les entendre, les militaires soudanais n’auraient rien tenté si le président tunisien avait dû battre en retraite, en mettant fin en particulier au gel du Parlement. Leur coup d’Etat ne serait que la réplique d’un premier, qui lui était d’un civil, outre qu’il s’était déroulé dans un pays étranger. Ce qui semble plutôt absurde. A l’évidence, le président Saïed n’a rien à voir avec l’arrestation de Hamdok. Il n’en a été ni l’instigateur ni l’inspirateur. D’autant que Hichem Mechichi, en quelque sorte l’équivalent tunisien de Abdallah Hamdok, n’a pas été arrêté pour sa part. S’agissant du Soudan, on s’est mis à parler de coup d’Etat peut-être un peu trop vite. Il est compréhensible, et même légitime, que ceux qui en font les frais le qualifient comme tel. En réalité, que l’événement en cours soit ou non ainsi libellé en dernier ressort, ne dépend ni des militaires ni des civils, mais de la rue. Si elle s’embrase, c’en sera probablement un, de coup d’Etat. Autrement, ce ne sera qu’une sorte de rupture de contrat entre civils et militaires, à l’initiative certes de ces derniers. Si pour obtenir la libération de Hamdok, la rue se déchaîne et maintienne sans désemparer sa pression, il apparaîtra sans doute que les militaires ont fait un mauvais calcul. Dans le cas contraire, ils auront réussi leur coup. D’où l’intérêt qu’il y a à rester branché.

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