Les pères fondateurs de la Société industrielle de produits alimentaires «S.I.P.A» sont de véritables pionniers de la production de condiments en conserve dans la région d’Annaba. Aujourd’hui, avec une production quotidienne de 850 tonnes de double concentré de tomate, la SIPA reste un acteur-clé dans le développement de l’industrie agroalimentaire et un partenaire du secteur agricole. Cette aventure a débuté au lendemain de l’indépendance de l’Algérie.
Par Mehdi Mourad
Au sein de la famille Benamara, le travail est certainement la valeur la plus forte, celle qui unit tous ses membres depuis au moins trois générations. La Société industrielle de produits alimentaires est le principal symbole de ce labeur. Située à Chabia, dans la commune d’El Bouni, la SIPA est une institution dans le secteur de l’industrie agroalimentaire à Annaba. «En réalité, l’histoire de cette famille a débuté plus au Sud, dans la ville de Oued Souf. Menée par sept frères, tous commerçants. A l’origine, ils voulaient s’installer à Biskra, mais ils ont finalement choisi Annaba. Ils sont venus en 1959 dans cette ville et ont ouvert deux grossisteries», précise El Hadi Aidoud, directeur de la SIPA.
Mais la fratrie ne se contente pas de vendre des produits alimentaires, elle décide de se lancer dans la fabrication d’une pâte particulièrement épicée : la harissa. «En 1961, ils ont décidé de se lancer dans la production de la harissa, après avoir ramené la recette de Tunisie. Certes, au début c’était une production artisanale, mais il faut savoir que les frères Benamara étaient les premiers en Algérie à se lancer dans la fabrication de ce condiment à base de piment. A l’époque, ils avaient constaté que les agriculteurs d’Annaba jetés les piments quand ils devenaient rouges, donc ils ont su profiter de cette matière première à moindre frais et écouler ce produit dans leurs magasins de gros», précise le manager. Le succès de cette première expérience est immédiat. La fratrie comprend vite l’intérêt de développer l’industrie agroalimentaire au lendemain de l’indépendance. Surtout que la région recélait déjà un véritable potentiel en la matière.
Il faut savoir que durant la colonisation, la région d’Annaba était célèbre pour la culture du tabac, du coton et également de la tomate industrielle. Ces activités étaient gérées par trois grandes coopératives, Tabacoop, Cotocoop et Tomacoop. La famille Benamara s’est donc intéressée à la production de tomate industrielle. En 1965, les sept frères se sont lancés dans la production de double concentré de tomate en conserve. Ils ont acquis une ligne qui permettait de fabriquer 20 tonnes de produit par jour et l’ont installée dans une usine à la sortie ouest de la ville. Voilà comment est née la Société industrielle de produits alimentaires. A l’époque, la politique du pays était ouvertement socialiste, les investisseurs privés étaient plutôt mal vus. D’ailleurs, la tendance était plutôt à la nationalisation des entreprises. Une réalité que les frères avaient pris en considération Mais le pire était à venir. Des décennies plus tard, la SIPA et l’ensemble des transformateurs algériens de tomate industrielle ont subi une tout autre politique qui a mis à genoux cette filière et l’ensemble des agriculteurs qui la fournissent. «C’est un miracle si cette usine existe encore. A la fin des années 1990, l’Algérie avait atteint le niveau d’autosuffisance en matière de concentré de tomate, d’ailleurs certains opérateurs avaient commencé à exporter. Cependant, en 2004 les autorités ont ouvert les portes de l’importation de ce produit. Sur les 100 000 tonnes de produit qui étaient mis annuellement sur le marché, les producteurs locaux ont vu leur part passer à 20 000 tonnes. Les 80 000 autres tonnes provenaient de l’importation. Les conséquences sur les agriculteurs qui produisent de la tomate industrielle et sur les transformateurs ont été catastrophiques».
La filière a tenu trois années puis a sombré dès 2007. «Au total, 15 conserveries ont été forcées à l’arrêt. Lorsqu’une usine disparaît, ce sont des centaines d’hectares qui sont mis en friche. Au final, plus de 300 000 emplois qui sont perdus dans les champs, le transport, l’emballage et la transformation. C’est toute une filière qui a été coulée et qui est située essentiellement dans les wilayas du nord-est du pays».
A partir de 2011, les producteurs locaux commencent à souffler. Les autorités avaient alors décidé d’engager un semblant de reprise des activités en acceptant, notamment, le rééchelonnement des dettes des opérateurs. «Les producteurs ont dû travailler par étapes car les superficies cultivées avaient disparu. Il a fallu donner le temps aux agriculteurs de reprendre leurs activités. En 2015, il y a eu un retour à la situation d’avant 2004 en matière de quantités produites. Mais les autorités n’avaient pas pour autant mis un terme à l’importation. Jusqu’en 2017, l’Algérie importait 44 marques étrangères de concentré de tomate. Nous avons même vu sur les étalages du double concentré de tomate en provenance des Emirats arabes unis. Depuis quand ils cultivent de la tomate industrielle ?», regrette El Hadi Aidoud. Les opérateurs de la filière s’organisent et engagent alors une véritable campagne en direction de l’administration pour mettre un terme à cette situation de non-droit. «Nous reconnaissons ici le rôle important joué par la Confédération générale des entreprises algériennes dans ce combat. La CGEA était en permanence à nos côtés pour défendre nos droits. Si nous avons réussi à remporter plusieurs batailles contre le groupe d’intérêts de l’importation, c’est bien grâce à l’organisation patronale que dirige madame Saïda Neghza», note le directeur d’unité de la SIPA.
Les autorités finissent par mettre un terme à l’importation de double concentré de tomate, mais maintiennent cependant l’entrée de triple concentré en futs de 230 kilogrammes. «Mais en décembre 2018, à force de dénoncer cette catastrophe, nous avons obtenu le principe d’une taxe douanière de 150 % sur le triple concentré de tomate».
Regarder vers l’avenir
La SIPA – au même titre que d’autres conserveries – revient de loin. Certains problèmes persistent encore, comme l’accès aux crédits qui sont bloqués par certaines banques. «Là encore, les conserveurs ont engagé un programme de travail avec la CGEA pour sensibiliser le gouvernement sur les blocages que subissent les opérateurs de notre filière.
C’est grâce à cette organisation patronale que nous avons pu rencontrer le ministre des Finances, le ministre de l’Agriculture et le secrétaire général du Trésor public». Fait étonnant, la pandémie de coronavirus n’a eu aucun effet sur la campagne de production de l’année 2020.
«Durant la crise du Covid-19, nous avons travaillé puisque les agriculteurs avaient planté leurs champs. Tous nos travailleurs étaient présents dès le début de la saison. Bien sûr, nous avons pris nos dispositions en matière de protection de l’ensemble de nos employés et la saison s’est déroulée sans encombres».
Aujourd’hui, les managers de la SIPA veulent regarder vers l’avenir.
Ils sont engagés dans le développement des capacités de production de leur usine. «L’avenir c’est aussi des perspectives en termes d’exportation, notamment vers la Mauritanie», affirme El Hadi Aidoud.
M. M.