Elle est à la tête de la plus grande organisation patronale du pays, la CGEA (confédération générale des entreprises algériennes). Tranchante, Saida Neghza ne choisit pas ses mots pour dire la vérité. Spontanée et prête aux risques elle a été pratiquement la seule à oser la bataille contre le système de Bouteflika et Haddad . Seule contre tous, elle a surtout pris position en faveur d’un certain premier ministre, Abdelmadjid Tebboune qu’elle défendra au lendemain de son éviction par le pouvoir de l’argent sale. Saida Neghza aura été cette femme qui a fait son hirak en solo à une époque où beaucoup ont préféré se taire et se terrer pour quelques miettes d’avantages. Elle sera malmenée, forcée de fermer son entreprise et on la fera même trainer devant les juges. Elle échappera de justesse à la prison. Mais pas au cancer que le stress et les pressions provoqueront des suites de ce combat déloyal que le système lui a imposé. Dans cet entretien elle revient sur son parcours et sur la dimension internationale de la CGEA. Car ne l’oublions pas, l’Algerie, à la faveur de la CGEA est aussi présente au BIT et dans les structures dirigeantes de la plus puissante organisation patronale au monde (l’OIE) où siège Saida Neghza sous un statut plein et actif.
Entretien réalisé par Karim Alem
Le Jour d’Algérie : Vous venez fraîchement d’être réélue pour un second mandat à la tête de la CGEA. Pouvez-vous nous présenter votre organisation, son poids et ses missions ?
Saida Neghza : En effet, c’est mon deuxième mandat de cinq ans. Il faut souligner que mon premier mandat a été totalement caractérisé par la dure bataille que j’ai eu à mener contre l’l’ancien système, ses dérives et ses hommes. Nous avons souffert et on a essayé toutes les manœuvres et pressions pour nous bloquer et saboter notre travail. Pour revenir à la CGEA il faut savoir que c’est la doyenne des organisations patronales en Algérie. Et la seule à avoir de l’envergure à l’international où nous sommes actifs à titre plein. La CGEA est un patronat syndical membre titulaire du conseil d’administration du Bureau international du Travail ( BIT). Je suis également présidente de Business Africa qui représente 54 pays africains. Notre siège est au Kenya. J’ai présidé aussi Businessmed durant 3 ans, cette organisation englobant 22 confédérations de 19 pays des rives Sud et Nord de la méditerranée. Actuellement elle est présidée par le patron de la plus puissante organisation patronale en Italie et en Europe. Cette organisation a une telle influence que même à ses réunions le président italien est souvent présent. La CGEA est membre de l’OIE organisation internationale des employeurs, le plus grand patronat mondial avec 50 millions d’entreprises sur plus de 150 pays. Je suis la vice-présidente de cette organisation. Et j’ai l’honneur d’y représenter mon pays. Et pourtant avec toute cette dimension et notre présence hautement qualitative à un niveau mondialement reconnu, on nous a mené la vie dure du temps de l’ancien système…
C’est à dire?
Vous savez…à cette époque Haddad avait tenté d’user de son influence pour m’écarter de l’OIE. Il avait fait un courrier au président de l’OIE lui indiquant qu’il disposait de 30 milliards de dollars. Il pensait pouvoir séduire et gagner cette organisation en oubliant que chez ces gens là on ne joue pas avec la loi et la transparence. La réaction du président de l’OIE a été immédiate. Il a interdit l’accès ou adhésion sous quelque forme que ce soit à Ali Haddad. Il a compris la manœuvre. Le président de l’OIE est reçu dans les plus grands pays du monde par des chefs d’Etats et des rois. En 2019 je l’ai fait venir en Algérie. Mais les gouvernements de l’ancien système n’ont jamais voulu faire profiter le pays de l’envergure internationale de la CGEA. Eux étaient beaucoup plus préoccupés par Saida Neghza qu’ils espéraient casser et faire introduire Ali haddad auprès de ce patronat mondial. Mais ça ne marche pas comme ça avec ces gens. Personne, ni Trump ni Biden ne peut influer sur ces patronats. Seule la loi prévaut. Vous savez, même Bouteflika a fait un courrier officiel à l’OIE leur demandant de placer Haddad. Ils lui ont répondu par la négative.
On ne connaissait pas ces détails à l’époque. On sait juste que Saida Neghza a peut être été la première à faire son hirak contre l’ancien système. Et surtout à soutenir Tebboune au lendemain de son éviction de son poste de premier ministre.
Oui j’ai soutenu Tebboune en 2017. J’ai été la seule à le faire publiquement et contre tout un système, celui de la içaba et de Haddad et compagnie. Contre un système qui était au plus haut de sa puissance. J’ai pris position en faveur de Tebboune. Une position de principe alors que tout le monde a préféré se taire. J’ai dénoncé publiquement Haddad. Et notez que lorsque j’ai défendu et soutenu Tebboune je l’ai fait alors qu’il n’était plus Premier ministre. Je l’ai fait en toute conviction au lendemain de son éviction. Je n’attendais rien en contrepartie. Ce n’était pas de la chita. Mais je devais dire la vérité. J’ai passé des moments pénibles. Difficiles. On m’a attaqué de partout. On m’a fermé mes sociétés. Et cette situation avait fini par me provoquer un cancer. J’ai souffert et j’ai lutté. Ils ont tout fait pour me jeter en prison et ils ont failli y arriver. Ils ne m’ont pas fait taire. Ils ont fait avec moi ce que le sionisme fait à la Palestine. Mais jamais ils n’ont réussi à me faire peur.
On a l’l’impression que vous étiez en guerre. À l’époque vous avez également soutenu le général Toufik, l’ex patron des services du renseignement.
Oui j’ai rendu hommage au général Toufik. Et si c’était à refaire je le referai. Je n’attendais rien. Ni contrepartie ni rien. La preuve je lui ai rendu hommage au lendemain de son départ et non pas alors qu’il était en poste. Par principe aussi je soutiens tout Algérien qui porte l’uniforme ou autre et dont la mission consiste à assurer la sécurité de mon pays. Que ce soit dans l’armée ou dans la police.
Aujourd’hui la içaba n’est plus au pouvoir. On a un nouveau président et une Algérie nouvelle qui s’annonce. Qu’est ce qui a changé ?
Il faut reconnaitre que ce gouvernement est arrivé dans un contexte très difficile. En plus des dégâts causés par l’ancien système, il a eu à faire face à la pandémie. Aujourd’hui ce n’est pas l’exécutif qui pose problème. C’est surtout essentiellement et principalement cette administration sclérosée dont 90 % de sa composante est issue de l’ancien système. Elle est un danger pour le pays, un facteur de sabotage qui travaille contre le programme du Président de la république. L’administration dont je vous parle dispose d’une telle capacité de nuisance qu’elle peut saboter n’importe quel secteur. Et elle est nocive dans tous les secteurs. Vous savez que même les instructions d’un ministre ne sont pas appliquées. Elles sont bloquées. Il est vrai que le Premier ministre manifeste une bonne compréhension à l’égard des opérateurs mais il y a urgence à changer en profondeur la composante dans plusieurs administrations.
Oui mais peut-être que les gens ont peur de travailler et de se retrouver en prison. Qu’en est-il justement de la loi sur la dépénalisation de l’acte de gestion?
Ecoutez quand on accepte un poste de ministre ou de directeur ou autre on doit être capable d’assumer ses responsabilités sinon on change de métier et on laisse la place aux autres. Les gens ont les mêmes risques dans le public que dans le privé. Quand on n’a rien mis dans sa poche on n’a rien à se reprocher et on travaille sereinement. Ces gens prétendent être prudents alors que lorsqu’il s’agit de mettre de l’argent dans leurs poches ils ne craignent rien du tout.
Vous avez des exemples en la matière?
Quand par exemple il y a eu menace de grève des 600 minotiers en proie à de graves problèmes, il a fallu que ce soit le ministre de l’agriculture en personne qui gère ce dossier. Et croyez-moi il a reçu tout le monde et a réuni ses équipes jusqu’à minuit. C’est comme ça que le problème que nous lui avons soumis a été réglé. Sans l’implication directe du ministre de l’agriculture l’administration n’aurait rien réglé. Il faut dire aussi que grâce à notre sensibilisation et à la mobilisation du même ministre le dossier de la tomate industrielle a été également pris en charge. Un échéancier a été établi avec les banques afin d’aider les professionnels de la tomate qui ont souffert des agissements d’une certaine administration.
À l’instar d’autres organisations patronales vous avez été récemment reçue par le Président la république pour discuter de la relance économique. Quelles sont vos impressions ? Y-a-t il du concret?
Figurez vous qu’au lendemain de notre rencontre avec le Président Tebboune toutes les portes des ministères se sont ouvertes pour nous. Nous avions adressé plusieurs demandes d’audiences à certains ministres qui n’ont jamais répondu. Il a fallu cette rencontre avec le Président pour que les choses changent du jour au lendemain. Le Président est en train d’instaurer de nouvelles règles de travail, d’écoute et de développement.
Le jour d’Algérie: concrètement que voulez vous dire?
Le Président de la république a de bonnes et sincères intentions pour le pays. Je le dis et l’assume. Et si je l’ai toujours soutenu c’est par principe car c’est un homme qui veut aider le pays à se développer. Et puis il n’a pas besoin d’être soutenu en tant que personne il a surtout besoin de gens qui aiment le pays. Encore une fois, moi on m’a fermé mes sociétés. L’ancien système a failli ruiner ma vie. Et le Président de la république qui a connu sa part de difficultés et de souffrances comprend bien les choses et il mesure la douleur de la hogra. Il partage cela avec nous tous. Aujourd’hui il y a urgence à combattre ces gens embusqués dans les administrations et qui cherchent à déstabiliser tout élan ou volonté d’aller de l’avant.
Quels sont les secteurs prioritaires à développer selon vous? Et quels sont les ministères qui se démarquent actuellement ?
Il y a aujourd’hui un potentiel énorme dans le secteur des mines. Le Président de la république l’a souligné. Et je salue le travail de haute valeur que le ministre des mines est en train d’accomplir pour parvenir à valoriser ce secteur. L’Algérie n’exploite que 5 % de ses capacités minières. Pourtant c’est un secteur qui peut nous fournir pas moins de 8 milliards de dollars par an d’ici 2022. Et l’actuel ministre est en train de travailler dans ce sens tout en acceptant de s’ouvrir volontiers à toutes les concertations en la matière afin d’optimiser ces investissements.
Le jour d’Algérie: Oui mais il y a aussi l’industrie…
Ecoutez le Président a été clair. Il a insisté sur l’industrie de transformation notamment celle qui valorise la ressource locale. Il a même encouragé les opérateurs dans ce sens en promettant des concours bancaires à hauteur de 90%. Nous avons aujourd’hui malheureusement noté que rien n’a été fait. Où est la place de l’industrie textile? Où est la production d’engins agricoles et de travaux publics de l’époque? Pourquoi cherche-t-on à tout prix à faire une autre aventure de montage automobile? L’arrivée de ce ministre à ce poste sensible de l’industrie est un véritable accident de parcours.
K. A.