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jeudi 28 mars 2024

Ressources halieutiques : Algérie, les péchés de la pêche

Depuis une dizaine d’années le secteur bat de l’aile et ses résultats stériles sont visibles, impactant négativement la profession, les stocks pêchables et la biomasse…

Par Lotfi Abdelmadjid

Il y a une vingtaine d’années, en Algérie on a érigé le secteur de la Pêche en portefeuille ministériel. La vision de l’époque était louable car la garantie alimentaire, l’emploi et l’économie en dépendaient. Dans la perspective de promouvoir le secteur, on a recadré la loi de la pêche, instauré un plan de rénovation de la flottille de pêche et une stratégie pour conforter ce dernier par des projets aquacoles. La naissance de la Chambre nationale de la pêche et de l’aquaculture et celles des wilayas devaient être des instruments servant à consolider la profession, valoriser les ressources, gérer l’effort de pêche et préserver les stocks pêchables. Toutes ces actions allaient converger vers une politique qui devait, en son époque, redresser le secteur de la Pêche. Cependant la réalité est toute autre, car les résultats n’ont pas suivi. Depuis déjà une dizaine d’années, le secteur bat de l’aile et ses résultats stériles sont visibles, impactant négativement la profession, les stocks pêchables et la biomasse. Les zones de pêche à travers le territoire, selon ce que disait dans ses affirmations de l’époque le commandant Jacques-Yves Cousteau, étaient très riches en produits halieutiques. Sa fameuse phrase : «En Algérie le poisson meurt de vieillesse» était plus qu’une référence. Nonobstant, ce n’est guère le cas aujourd’hui. Les facteurs amenuisant le secteur sont multiples. D’abord ce secteur est l’unique à être géré par trois administrations : la Marine nationale, le ministère de la Pêche et le ministère des Transports, lesquelles n’ont jamais évalué leurs actions, preuve du dépérissement de la profession de la pêche. La coordination entre les trois gestionnaires n’est jamais visible sur le terrain et les professionnels s’en plaignent et ne savent plus où donner de la tête. Les autres facteurs ayant fait du secteur ce qu’il est sont en premier lieu la non application de la loi de la pêche. Cette situation est reflétée par les comportements non professionnels en haute mer. L’usage de la dynamite pour la pêche de la sardine est récurrent mais pas tout à fait combattu. Ce mode de pêche interdit, sévit jusqu’à aujourd’hui et massacre sauvagement la faune et l’environnement marins. La destruction de l’écosystème a impacté le volume des stocks pêchables et la biomasse. Le manque de contrôle pousse certains patrons de pêche au non- respect des zones de pêche. La gestion des zones de pêche, selon l’article 16 bis du décret de la loi n° 15-08 du 2 avril 2015, la planification ainsi que la gestion des zones de pêche obéissent à la préservation des ressources biologiques et leur exploitation durable. Mais dans le désordre, tout s’entremêle. On ne respecte pas la loi, on abuse dans la pêche côtière et on épuise la ressource. En Algérie on pêche avec un armement déjà interdit depuis longtemps par les autres pays de la Méditerranée. L’exemple du chalutage pélagique et semi-pélagique est édifiant car les zones de pêche du bassin méditerranéen sont très sensibles et c’est ainsi qu’il devient responsable de la disparition de plusieurs espèces. D’un autre côté, c’est le non-respect des arrêts biologiques surtout par l’excès dans l’effort de pêche d’abord. Les chalutiers de la pêche au large travaillent avec deux équipages qui se relaient à longueur d’année. Il n’y a que la panne ou éventuellement le mauvais temps qui les empêchent de sortir en mer. Cette cadence insoutenable et abusive ajoutée aux armements inadéquats dégrade exagérément les fonds marins. La taille marchande que ce soit pour le poisson blanc ou le poisson bleu est un autre facteur aggravant. On a vu sur les étalages et à travers plusieurs halles à marée des poissons dont la taille est interdite par la loi. Des faits hallucinants pour une profession gérée par trois administrations. Pêcher et commercialiser des espèces halieutiques dont la taille n’est pas marchande est un péché inavouable. Les investissements en aquaculture, autant marine que continentale, devraient venir en soutien à la production halieutique, mais les objectifs escomptés n’ont jamais été atteints puisque les prix du poisson ont plus que triplé depuis le lancement du Plan national de la pêche. Avec un nombre inconnu de petites embarcations appelées «petits métiers», la pêche artisanale est incontrôlée. Sans sites d’échouage, ni abris de pêche, les pêcheurs occupent les plages et quelquefois des sites balnéaires. Les pêcheurs exerçant dans les petits métiers devenus pêcheurs dans le tas, souvent non inscrits maritimes et sans formation, travaillent dans des conditions inappropriées. A défaut de contrôle, un nombre impressionnant de petites barques ont été utilisées pour la traversée clandestine de la Méditerranée. Le commerce du poisson est un domaine qui s’est dégradé par rapport aux mesures d’hygiène de sa vente, de son stockage et de son transport, de sa chaîne de froid et sa traçabilité. Sur ce plan-là, les investissements retenus tels que les installations frigorifiques, les fabriques de glaces et autres, n’ont pas amélioré la situation. De cette situation nous citerons comme exemple l’usage des caisses en bois qui devaient être remplacées par les caisses en plastique continuent à poser des problèmes d’hygiène compromettants. Le secteur de l’exportation des produits de la pêche a subi un revers que personne ne connaît par rapport aux deux dernières décennies. La crevette et le poulpe étaient les produits les plus exportés, mais 50 % des exportateurs de ces deux produits étaient des étrangers venus s’investir dans le secteur. Il fut un temps, juste après que l’accord de pêche entre le Maroc et la Communauté européenne fut rompu, où des sociétés mixtes de pêche se sont installées pour la pêche hauturière des crustacés. Une partie des chalutiers interdits de pêche au Maroc se sont retournés sur l’Algérie sous la formule de société mixte de pêche. Ces sociétés venues racler les fonds par la surpêche étaient juridiquement mal établies. Après dix années de pêche excessive, ces sociétés ont disparu, faisant disparaître les crustacés des zones de pêche algérienne. Le retombées économiques d’une telle situation ont été infimes mais les dégâts considérables.
Avec des investissements colossaux, le secteur de la Pêche et de l’aquaculture voulant être un des piliers de l’économie nationale n’a pas atteint ses objectifs, car la profession n’a pas été bien encadrée et la ressource mal préservée. L’avenir du secteur donne à réfléchir et sa reprise en charge est plus qu’une nécessité.
L. A.

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