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jeudi 25 avril 2024

Résistance: Mokrane Benyoucef, le «chahid» ressuscité à l’indépendance

Considéré comme mort au champ d’honneur durant la révolution de Libération nationale, le moudjahid Mokrane Benyoucef, aujourd’hui âgé de 83 ans, a vécu sa «résurrection» à l’indépendance, lorsqu’il retrouva ses parents à Tizi-Ouzou, dans une joie indescriptible.

Par Kamel L.

Rencontré au chef-lieu de wilaya, à la maison de la culture Mouloud- Mammeri, ancienne prison à l’époque coloniale, à la veille de la célébration de la fête de l’Indépendance et de la Jeunesse, cet ancien maquisard né le 18 mars 1938 à Tizi-Ouzou, garde gravé dans sa mémoire la joie des siens à son retour de la Wilaya II historique, après l’indépendance.
Pour cet ancien étudiant du collège technique de Tizi-Ouzou qui a rejoint les maquis en 1957, un long parcours de révolutionnaire allait commencer, durant lequel il avait frôlé la mort plusieurs fois après avoir échappé à un encerclement. Il est resté dans l’eau, avec une blessure au ventre pendant des jours en plein hiver, échappé à la bleuite, et traversé les lignes Challe et Morice pour s’en sortir vivant.
«Pour me consacrer totalement à la Révolution, persuadé que je n’allais pas revenir vivant, et afin de ne pas faire souffrir ma famille, j’ai fait le choix de ne plus donner de mes nouvelles à mes parents», a-t-il dit.
Sa famille pouvait avoir de ses nouvelles par le biais d’autres moudjahidine, lorsqu’il était encore dans la Wilaya III historique, ce ne fut plus le cas à partir de 1959, lorsqu’il s’était porté volontaire pour faire partie d’une compagnie qui allait se rendre en Tunisie pour ramener des armes.
«C’était à la fin de 1959. Il a fallu à la compagnie qui était composée de 150 moudjahidine, 3 mois et 18 jours pour traverser les lignes Challe et Morice et
d’énormes pertes humaines, car au retour, en 1960, nous n’étions plus que 17 vivants de ce périple infernal», se souvient-il.
Au retour de cette mission, Mokrane Benyoucef fut grièvement blessé au ventre dans un accrochage. Il a préféré se jeter dans les eaux de l’Oued Djedjen (Jijel) en cru, en plein hiver, entre janvier et février, plutôt que d’être fait prisonnier par l’armée coloniale.
Emporté par la crue, il fut rejeté vers le rivage par un tourbillon et est resté ainsi caché dans des roseaux trois jours dans l’eau glacée.
Au quatrième jour, il a été découvert par les habitants de la région qui l’ont soigné. Il se rappelle particulièrement d’une vielle femme qui l’avait soigné avec une huile d’olive de plus de 20 ans d’âge, lui permettant ainsi de retrouver l’usage de ses jambes qu’il a failli perdre.
Une longue convalescence s’ensuivit. Il demeura à la Wilaya II historique pendant qu’à Tizi-Ouzou on le considérait comme chahid.

Les retrouvailles à l’indépendance
A l’indépendance, son père s’est rendu au siège du poste de commandement de Tizi Ouzou pour avoir des renseignements sur son fils et on lui répondit que Mokrane Benyoucef est tombé au champ d’honneur.
Alors que les familles fêtaient l’indépendance, sa famille le pleurait. Le 5 juillet 1962, la joie de l’indépendance et des retrouvailles, avec le retour des soldats, s’était mêlée à la douleur de la perte d’un proche martyr.
Après avoir fêté le cessez-le-feu le 19 mars 1962 et l’indépendance le 5 juillet de la même année, dans la Wilaya II historique, Mokrane Benyoucef, arborant fièrement sa tenue de moudjahid de l’Armée de libération nationale, prit le chemin du retour chez lui.
Il fut accueilli dès son arrivée à Tizi-Ouzou par une foule de citoyens qui l’avaient reconnu et qui se bousculaient pour lui proposer de le conduire chez lui.
La nouvelle du retour du «Chahid» traversa Tizi-Ouzou comme une traînée de poudre et arriva à sa mère qui a failli vaciller de joie.
«Je revois encore cette scène, lorsque descendant de la voiture de Mustapha Abtouche, ma mère m’apercevant de loin, s’est mise à courir dans ma direction, elle a trébuché, est tombée et s’est relevée pour venir me serrer dans ses bras», se rappelle-t-il encore.
Ce fut alors la fête, «tout le quartier était venu chez nous, les femmes avaient ramené chacune ce qu’elle pouvait, du pain, des gâteaux, du café, pour fêter mon retour en chantant et dansant», a-t-il dit, ajoutant : «Je pense que ma mère avait dansé 48h sans s’arrêter», a-t-il souligné en souriant.
Une fête qui n’a pas été totalement un véritable moment de joie pour Mokrane Benyoucef. Ce dernier se rappelle qu’au moment où sa famille faisait la fête pour lui, une petite fille s’était approchée de lui et lui a dit «Yemma Fatma veut te voir».
«Yemma fatma, explique-t-il, est une voisine dont le fils Ahmed Amirouche a rejoint le maquis avec moi et qui est tombé au champ d’honneur. Je ne savais pas quoi lui dire, alors je me suis mis à lui raconter les grands faits d’armes de son fils, mais elle n’était pas dupe», a-t-il raconté avec une visible note de tristesse et de douleur.
«Je sais que mon fils est mort, m’a-t-elle lancé, mais en te voyant c’est comme si c’était lui qui est revenu», lui a-t-elle dit. «Cette phrase m’a achevé», rétorqua M. Benyoucef.
Lançant un message aux jeunes d’aujourd’hui, il a dit à leur adresse : «Cette indépendance, nous l’avons arrachée au prix de grandes souffrances et sacrifices. L’Algérie est une fleur arrosée par le sang des chouhada qu’il vous faut préserver et entretenir à votre tour».
K. L.

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