Comme il était prévisible, l’échec de Mustapha Adib à former un gouvernement libanais dit de mission, mais qu’on pourrait tout aussi bien appeler un gouvernement de compétences, a souverainement déplu à Emmanuel Macron, qui visiblement avait du mal à retenir sa colère lors de la conférence de presse de dimanche consacrée à cette question. «J’ai honte pour les dirigeants libanais», s’est-il laissé aller à confier à son auditoire. Une déclaration pour le moins inhabituelle dans la bouche d’un chef d’Etat, par ailleurs mesuré dans ses propos, d’autant qu’elle a trait non pas à des nationaux mais à des étrangers. Une expression de dépit bien plus que de mépris, d’ailleurs, pour des gens qui lui avaient donné l’assurance, «les yeux dans les yeux», qu’ils ne gêneraient en rien la formation d’un gouvernement indépendant des partis, mais c’est pour faire ensuite tout le contraire. On croyait jusque-là que ces personnes ayant manqué à leur parole appartenaient toutes au camp chiite, et que les représentants des autres confessions s’en étaient par contre rigoureusement tenus à la leur. Macron nous a détrompés sur ce point. Le premier dirigeant à exiger que des postes reviennent à sa communauté, ce n’est ni Nabih Berri ni Hassan Nasrallah, ou quelque lieutenant de celui-ci, mais Saad Hariri lui-même. Quelqu’un dont on aurait pensé qu’il était à cent pour cent d’accord avec la démarche française de sortie de crise, du moment qu’elle est conçue pour conduire à terme au désarmement du Hezbollah, comme cela n’échappe à personne.
Pour autant la France n’abandonne pas le Liban, assure son président, elle reste plus que jamais à ses côtés, à un moment de son histoire où il n’a guère de chance de s’en tirer par lui-même. Son modèle économique s’est effondré, entraînant dans sa chute le système politique de rapine qui lui est associé. Les deux sont pour le moment à terre. Impossible de sauver et le Liban et le système qui l’a conduit à la ruine. Un Libanais, quelle que soit sa confession et pour peu qu’il soit patriote n’hésiterait pas un instant à choisir son pays au détriment de son propre intérêt et de celui de sa communauté étroite. Ce prêche, le président français l’a une fois de plus répété, ainsi que son plan de sauvetage du Liban, qu’il a reconduit tel quel, sauf qu’il décale dans le temps la réalisation de sa première disposition qui est la formation du gouvernement de mission. Si le président français préfère cette appellation à celle de gouvernement de compétences, c’est pour une bonne raison. Un gouvernement d’experts, un gouvernement non-partisan est un gouvernement qui par définition n’a pas une mission précise à remplir. Encore moins une mission de rupture avec l’ordre existant afin de préparer le terrain au renouveau. Une mission de cette envergure mériterait parfaitement le titre de révolutionnaire. On comprend dès lors que les factions libanaises tiennent par-dessus à avoir des représentants au sein d’une telle équipe. Macron veut révolutionner le Liban, lui faire changer de système, les éliminer de la scène par conséquent, et il leur demande de s’en faire une raison, de ne rien entreprendre là-contre. Ce n’est pas à lui de désarmer le Hezbollah, mais au Hezbollah de se désarmer. Pour le salut du Liban. Le gouvernement de mission n’aura alors qu’à ramasser ces armes dont il se sera dépouillé. Tant qu’il se refusera à cette perspective, le Liban en entier restera cloué à sa croix.