Voilà plusieurs mois que les observateurs de la scène libyenne passaient leur temps à balancer entre les deux possibilités s’offrant à eux, relativement aux élections du 24 décembre prochain, conçues comme le couronnement du processus de Berlin lancé en janvier 2020, les deux termes de l’alternative étant leur tenue ou à l’opposé leur non-tenue, du moins à la date convenue. L’éventualité de leur report, pour des raisons purement techniques, n’a quant à elle jamais été envisagée. Et pour cause, les deux années de préparation avaient semblé suffisantes pour aplanir ce genre de difficultés si elles devaient surgir en cours de route. Les pronostics avaient été de façon continue en faveur de la réussite du processus de sortie de crise, et cela jusqu’à la réunion du Forum du dialogue politique libyen de fin juin à Genève sous l’égide de l’ONU qui s’était terminée sans qu’un accord ne soit trouvé entre ses 75 membres sur la base constitutionnelle des élections du 24 décembre. Depuis cet échec, la tendance en cette matière s’est inversée, mais sans que tout espoir ne soit abandonné pour autant. Avec le retrait de confiance au gouvernement d’unité nationale que vient de voter le Parlement de Tobrouk, un point de rupture est atteint, dont on se demande s’il n’est pas définitif. C’est comme si brusquement la crise libyenne était revenue à son état d’avant la conférence de Berlin.
Une Libye à nouveau coupée en deux, une partie centrée sur Tobrouk, qui ne reconnait plus le gouvernement Dbeibah, issu pourtant du dialogue interlibyen, et l’autre sur Tripoli, qui elle au contraire lui conserve tout son soutien. A trois mois seulement des élections devant tourner la page de la crise, le pays est repris par ses démons. Il retombe dans sa division politique et territoriale principale, on dirait de tout son poids et comme pour ne plus s’en relever. La preuve est du même coup faite que l’échec de la dernière réunion de Genève n’est pas le fruit du hasard, mais le résultat inévitable d’un désaccord profond préexistant. Autrement, il aurait été possible d’organiser une deuxième rencontre du Forum, et obtenir d’elle le résultat manqué par la première. Du moins sait-on maintenant en quoi consiste le véritable point d’achoppement. Il est dans le rejet du Haut Conseil d’Etat, l’instance législative créée par Tripoli pour faire pièce au Parlement de Tobrouk, dans la loi constitutionnelle qu’il a adoptée en vue des élections, de la candidature des militaires en activité tant à la présidentielle qu’aux législatives. Cette disposition vise bien évidemment à barrer la route au maréchal Khalifa Hafter, dont l’ambition présidentielle est bien connue. La riposte de Tobrouk ne s’est guère fait attendre, se traduisant par le retrait de la confiance au gouvernement de transition dirigée par Abdelhamid Dbeibah. Là-dessus le Conseil d’Etat lui renouvelle la sienne, lui par contre. La crise semble s’être corsée ; elle s’est en réalité simplifiée. On sait maintenant et avec précision où cela coince, alors que jusque-là on pouvait croire que les causes du blocage sont multiples, à la fois internes et externes. Il appartient à une personne, à une seule, de prolonger la crise au-delà de cette année, ou au contraire d’y mettre fin dans le délai convenu en abandonnant son ambition présidentielle.