Les sondages s’étant trompés une première fois, en donnant le principal rival de Recep Tayyip Erdogan, Kemal Kiliçdaroglu, vainqueur au premier tour de la présidentielle turque, et même pour certains élu dès ce moment, avant d’en faire le vainqueur dans la perspective du deuxième, la prudence était de mise entre les deux tours et même tout au long de la tenue du scrutin, dimanche dernier. On se disait que du moment qu’ils s’étaient trompés une première fois, ils pouvaient encore le faire une deuxième. Il semble bien que ce sentiment ait prévalu partout, en Turquie et hors de Turquie, et qu’il ne soit tombé que lorsque le décompte des voix, très rapide dans ce pays, ce qui témoigne de la compétence de l’administration en charge de l’organisation des élections, soit vers sa fin, c’est-à-dire que lorsqu’il fut certain que l’avance prise par Erdogan lors du dépouillement ne sera pas rattrapée par la remontée de Kiliçdaroglu, parti de loin comme lors du premier tour. L’autre trait marquant de cette élection, particulièrement suivie dans le monde, est la participation, qui est restée élevée, bien qu’elle ait quelque peu baissée ce dimanche.
Dans les deux cas, elle se situe à un niveau élevée en comparaison de ce qu’elle est dans bien des pays occidentaux. Elle témoigne à elle seule de la vitalité du système politique turc, quoi qu’il puisse être en lui-même, une démocratie ou une dictature. La régularité du scrutin est à relever elle aussi, même si le camp perdant a trouvé à y redire sur la fin, peut-être non sans de bonnes raisons. Mais que dans l’ensemble les résultats annoncés soient conformes aux choix des électeurs, cela ne fait pas de doute. La confortable réélection d’Erdogan est d’autant plus remarquable qu’elle s’est faite dans une conjoncture économique défavorable, marquée notamment par une forte inflation, galopante même, préciseront certains. Elle n’a pas été lettre morte pour autant, car sans elle, Erdogan aurait été élu dès le premier tour, une règle pour la première fois mise en défaut dans l’histoire électorale de la Turquie. Cette réélection serait-elle due à une forte polarisation de l’opinion turque, bien plus qu’à la qualité des candidats, ou même à leurs programmes ? La réponse à cette question serait plutôt négative si par polarisation on a en vue une situation comparable à celle qu’on observe aux Etats-Unis, où en effet deux sociétés différentes se font face ces dernières années, et qui s’affronteront à nouveau dans les urnes en novembre 2024. Si les deux candidats turcs sont porteurs de deux visions de la société, comme c’est le cas aux Etats-Unis, leur opposition n’est pas aussi tranchée que celle qu’il y a entre les deux principales familles politiques américaines, il s’en faut même de beaucoup. Il n’y a pas aujourd’hui en Turquie un climat de guerre civile blanche comme aux Etats-Unis, ni jusqu’à un certain point comme au Brésil, par exemple. Une nette majorité de Turcs a réélu une personnalité marquante, un leader politique affirmé, peut-être davantage pour ce qu’il est que pour ce qu’il incarne. Elle l’a fait en principe pour la dernière fois, puisque la Constitution turque ne permet pas à Erdogan de se représenter à l’expiration de son deuxième mandat, qui commence.