Aucune négociation n’étant en vue dans la guerre en Ukraine, ni entre Kiev et Moscou, ni entre Moscou et Washington, les Européens ne comptant à peu près pour rien dans cette affaire, le bon sens commande ou recommande de se placer dans l’immédiat non pas dans la perspective d’une désescalade mais au contraire d’une escalade particulièrement intense, sans exclure l’éventualité d’une offensive comme les Russes n’en ont pas encore lancée jusque-là. Les attaques au drone effectuées avant-hier par l’armée ukrainienne sur des bases aériennes situées dans la profondeur russe, mais que les Russes ont dit avoir interceptées, tout en reconnaissant des morts et des blessés, à l’évidence ne sont pas faites pour inciter à penser le contraire. En fait, si les Russes ont attendu l’arrivée de l’hiver pour s’attaquer aux infrastructures énergétiques ukrainiennes, ce ne peut être que dans l’intention de tirer tout le parti possible de cette saison et de ses rigueurs. Cela veut dire que leur but n’est pas de paralyser l’Ukraine et de faire souffrir de froid sa population, ce qui serait pure méchanceté de leur part, mais de préparer le terrain à une offensive dont probablement seuls leurs chefs connaissent pour le moment les tenants et les aboutissants.
On ne voit pas autrement quel serait pour eux l’intérêt de détruire des infrastructures énergétiques. Celles-ci sont comme les routes, elles sont utiles aux civils mais également aux militaires. Si elles sont bombardées, c’est sûrement dans le but d’en rendre l’usage difficile, voire impossible. Avant que les forces russes n’entrent en Ukraine, que disaient ceux qui comme les Américains étaient certains que l’invasion allait se produire ? Que les Russes attendaient que le froid gèle les routes, les rendant du même coup plus praticables par des troupes prêtes à se mettre en mouvement. Il semble qu’on soit d’un avis opposé
aujourd’hui : les Russes se serviraient de l’hiver non pour marcher sur l’ennemi mais pour se retrancher derrière les barrières naturelles qu’il dresse devant toute avancée. A ce point de vue, les Russes seraient en position défensive, ayant déjà mis la main sur les territoires qu’ils voulaient et ne cherchant dès lors qu’à les garder, et les Ukrainiens projetant au contraire de les leur reprendre le plus rapidement possible, dès cet hiver si cela est possible. Mais si les Russes cherchent la négociation et qu’ils n’aient pas l’intention de rendre aucun des territoires annexés, il faut bien qu’ils s’en emparent d’autres qui eux par contre seraient restituables dans le cadre d’une négociation. On ne sait trop quels sont ces territoires destinés éventuellement à devenir monnaie d’échange, sont-ils à l’est ou au sud ? Est-ce Kharkiv ou Odessa ? Il faudrait en tout cas que ce soit un gros morceau s’ils veulent avoir un atout dans leur jeu le moment venu. Or l’hiver pourrait ne pas les servir uniquement dans la guerre en Ukraine, il peut aussi les aider dans leur guerre non déclarée à l’Europe. S’il est particulièrement rigoureux en effet et que les «capacités installées», comme on parle en France depuis quelque temps, ne sont pas les mêmes que les «capacités fournies», en clair si les coupures d’électricité et de gaz sont beaucoup plus fréquentes et longues que prévu, on ne sait trop quelle serait alors la réaction des populations. On voit aujourd’hui les Ukrainiens faire preuve de courage et de stoïcisme face à une pénurie d’énergie chez eux déjà bien réelle. Il n’est pas évident que les Européens seraient dans le même état d’esprit devant une fraction minime de ce qu’eux-mêmes subissent d’ores et déjà. Et pour cause, eux les Ukrainiens sont en guerre, ils le savent, ils n’ont d’autre choix que de s’y faire. Ce qui ne serait pas le cas des autres Européens, à qui on ne cesse de dire qu’ils ne sont pas en guerre, mais qui se retrouvent en butte à toutes sortes de désagréments supportables par la force des choses en temps de guerre, mais tout à fait insupportables en temps de paix.