A ses débuts, il y a maintenant un peu plus d’une année, la guerre en Ukraine semblait à tous un drame de fort courte durée, une parenthèse vite refermée, une affaire de quelques jours, et dans le pire des cas, de quelques semaines. C’est qu’alors on avait une certaine idée du conflit. Les Occidentaux, par exemple, ne pensaient pas devoir s’y engager autrement qu’en prenant des sanctions de plus en plus sévères contre la Russie, pour la forcer à faire repasser les frontières à son armée. Aujourd’hui, ils s’aperçoivent que pour avoir des chances de la gagner, cette guerre, c’est-à-dire d’obtenir le retour à la situation d’avant son éclatement, il leur faut en créer les conditions, dont la première et la plus importante est la transformation de leurs économies en machines de guerre. C’est qu’il y a déjà urgence. La première année de la guerre s’est terminée sur deux choses : la perte de Bakhmout, ou d’Artymovosk, le nom que lui donnent les Russes, et l’appel à l’envoi d’armes et de munitions promises par les alliés fait par un Volodymyr Zelensky, toujours brave sans doute, mais qui se voit écrasé par la puissance mécanique de l’ennemi. L’attention générale s’est portée sur le premier événement, alors que c’est le manque d’armes et de munitions coté ukrainien qui est le fait le plus significatif, le principal enseignement de cette première année de guerre, pour peu qu’on y regarde. En une année, peut-être même en moins de temps encore, la Russie a subordonné son économie à l’effort de guerre.
Les usines de fabrication d’armes et de munitions tournent à plein régime. On le sait de Vladimir Poutine en personne, qui s’en est félicité publiquement à deux reprises au moins. Pourtant, des indices sont apparus qui laissent penser que même les Russes sont, ou peuvent se trouver en manque de munitions. De là d’ailleurs l’avertissement réitéré des Etats-Unis en direction de la Chine, lui promettant les pires sanctions si elle s’avisait d’armer la Russie. C’est que les Américains ont changé d’opinion sur la nature de cette guerre. Ils pensaient qu’elle était gagnable du seul fait de la supériorité supposée de l’armement occidental sur celui des Russes. Apparemment ils ne le pensent plus. Leur crainte maintenant, c’est qu’ils ne puissent, eux et leurs alliés, produire autant d’armes et de munitions que les Russes, mais sans pour cela avoir à faire subir à leurs économies la même transformation que celle que les Russes ont imposée à la leur. Le complexe militaro-industriel russe n’a pas eu grand mal à se mettre à l’heure de la guerre. Son équivalent américain en est encore loin. Toute la production de l’Otan de munitions ne suffit pas à couvrir les besoins des forces ukrainiennes. L’Otan, c’est vite dit d’ailleurs. En réalité, fort peu de ses membres ont une industrie militaire répondant aux exigences d’une guerre comme celle d’aujourd’hui. Pour la majorité des pays européens, désindustrialisation et démilitarisation sont allées de pair. Des armées jusque-là considérées comme grandes seraient incapables de soutenir une guerre comme celle qui se développe en Ukraine. Ainsi de l’armée française, qui en fait n’a plus que la dissuasion nucléaire à opposer aux menaces réelles ou supposées. On peut en dire autant et peut-être même davantage de l’armée britannique, dont le ministre de la Défense et les services secrets se montrent toutefois particulièrement remuants, on dirait par compensation. La France avoue volontiers ne pas pouvoir envoyer ne serait-ce qu’un seul char Leclerc à l’Ukraine, sans que cela laisse un trou durable dans son système de défense. Un pays qui ne peut pas fournir un seul char à un allié placé lui en première ligne peut-il encore faire la guerre ? On peut en douter.