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dimanche 11 juin 2023

Prigojine en furie

Cette apparition, sur un fond noir parce qu’il fait nuit, d’un Evgueni Prigojine pestant contre le ministre de la Défense Sergueï Choïgou et contre le chef d’état-major Valeri Guerassimov, les apostrophant par leurs noms nus, les sommant de lui fournir sur-le-champ les munitions dont son groupe a besoin, cette séquence est quelque chose qui restera de la guerre en Ukraine, même si cette dernière devait durer encore des années et connaître bien des rebondissements. A moins de lui fournir ces munitions, a-t-il averti tout en écumant de rage, lui et ses éléments se retireraient de Bakhmout, qu’ils étaient en mesure de prendre avant le 9 mai, le Jour de la Victoire. A la suite de quoi, il fait reparler de lui, mais cette fois-ci dans un autre style, à croire qu’il a été durement recalé, sérieusement refroidi dans l’intervalle, mais pour annoncer qu’en effet lui et ses hommes allaient céder leurs positions à des unités de l’armée russe. Il n’abandonnait pas Bakhmout à l’armée ukrainienne comme on pouvait le comprendre de sa première diatribe, mais la remettait aux soldats répondant aux ordres de ces mêmes Choïgou et de Guerassimov qu’il avait traités de bureaucrates planqués à l’arrière et se la coulant douce tandis que d’autres se sacrifiaient, mourraient pour la patrie.

Cette relève devrait s’être déjà produite le 10 mai. Le groupe Wagner est monté en ligne il y a de cela plus de neuf mois. C’était au lendemain de la contre-offensive ukrainienne, commencée en septembre de l’année dernière, au cours de laquelle l’armée russe a dû abandonner des territoires conquis précédemment. Prigojine et ses «volontaires» recrutés dans les prisons, néanmoins appuyés par l’armée russe, sont parvenus au bout de plusieurs mois de combats à s’emparer de la plus grande partie de la ville de Bakhmout, reprise par les Ukrainiens lors de la première contre-offensive. En février dernier déjà, il tenait des propos peu amènes contre le commandement russe, accusant ses principaux représentants de chercher à le priver d’une grande victoire, qui si elle advenait mettrait en relief leur incompétence. Puis il s’était calmé, ayant sûrement obtenu satisfaction pour ses demandes. Ses dernières récriminations ont eu l’effet opposé de celui qu’il recherchait. Ce ne sera pas à lui d’annoncer que Bakhmout est reprise, pour autant d’ailleurs que la bataille pour son contrôle se poursuive. Il y a dix mois qu’elle dure et dix mois que l’on se demande pourquoi cet acharnement de part et d’autre pour une position dont on ne voit pas l’importance. Ce temps, les deux armées l’ont mis à profit pour se préparer à la deuxième phase de la guerre, dont on sait maintenant qu’elle a commencé. On peut même lui assigner une origine précise dans le temps : l’attaque de drones contre le Kremlin dans la nuit du 3 au 4 mai. Le fait que pour les Occidentaux cette attaque n’ait même pas eu lieu, qu’elle soit un coup monté, une supercherie, n’y change rien. Ce qui compte pour la suite des événements, ce n’est pas ce qu’ils en pensent eux mais ce que les Russes en disent. Or pour les Russes, c’en est une d’attaque, même l’une des plus graves, qui appelle une réponse conséquente, qui change la règle du jeu, qui renouvelle la guerre. Pour eux, les Ukrainiens, poussés par les Américains, ont voulu attenter à la vie de leur président. Là-dessus, voilà cet ours mal léché de Prigojine qui attire l’attention sur lui, déboulant sur la scène, éructant des invectives et désignant des cadavres éparpillés derrière lui. Si cela n’est pas l’ouverture du rideau sur le deuxième acte, on se demande ce que ça pourrait bien être.

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