Pour la première fois en Europe, des dizaines de milliers de citoyens – on les a estimés à 70 000, ce qui n’est pas rien – ont manifesté à la fois contre la hausse des prix du gaz et de l’électricité et contre le suivisme de leur gouvernement dans la guerre en Ukraine, son alignement total sur la politique antirusse de l’Otan, qu’ils estiment contraire à leurs intérêts comme à ceux de leur pays. Cela s’est passé dimanche dernier au centre de Prague, dans une région de l’Europe où l’hostilité à la Russie se dément rarement. Des centaines d’autres, en Allemagne ceux-là, sont descendus ce même jour dans la rue pour faire entendre le même son de cloche, et exprimer la même demande de neutralité par rapport à la guerre actuelle. Le gouvernement tchèque, qui venait d’échapper à un vote de défiance, a fustigé les manifestants comme des pro-russes d’extrême-droite et des communistes qui ne le seraient pas moins. Il semble bien toutefois que la foule ait été plus diverse qu’il ne veut le reconnaître, que ce soit bien plus l’angoisse du lendemain qui l’animait que ses sympathies pour la Russie, même si chez certains ceux-ci sont bien réels. Mais qu’en Europe, et ailleurs dans le monde, il y ait des secteurs entiers de l’opinion pour apporter leur soutien à la Russie dans la crise actuelle, voilà qui ne devrait étonner personne.
Si demain le renchérissement des produits alimentaires se poursuivait, et que les factures d’énergie se mettaient à grever de plus en plus lourdement le budget d’un nombre croissant de ménages, il est clair que ces protestations se multiplieraient, se répliqueraient, tout en entraînant des foules de plus en plus nombreuses. Celles de dimanche ne sont selon toute vraisemblance que les premières du genre. Encore que déjà le rassemblement de Prague ne soit pas négligeable quant à ses proportions. A lui seul, il dit que le malaise est dans l’air, qu’il est en train de prendre, qu’il est susceptible de revêtir plusieurs formes, allant de la grève policée à la révolte fracassante. La vague de grèves actuelle en Angleterre, pour l’augmentation des salaires dans un contexte d’inflation dont il est maintenant admis qu’il va durer, est prise au sérieux ailleurs en Europe, y compris en Allemagne, où les autorités viennent d’annoncer des mesures de soutien au pouvoir d’achat en direction du plus grand nombre. On sait qu’en France, le président Macron a déjà annoncé la fin de l’abondance et de l’insouciance, ce qui à gauche a provoqué un tollé. D’autres responsables ont annoncé pour leur part la fin prochaine des boucliers tarifaires, grâce auxquels l’inflation est en France inférieure de deux points à ce qu’elle est ailleurs en Europe. Une hausse de 4 % du prix du gaz a entraîné une baisse de même niveau de sa consommation. Dès le début de l’année prochaine, il devrait augmenter de 40 %. La question que tout le monde se pose, c’est de savoir si les factures vont augmenter d’autant, ou si ce produit de toute première nécessité va malgré tout continuer d’être subventionné. Cela évite de se demander si du moins il y en aura en quantité suffisante. En fait, le problème n’est pas tant son prix que sa disponibilité. S’il y en a suffisamment, peu importe le prix. Il n’y aura qu’à s’endetter, c’est-à-dire qu’à actionner à l’échelle de l’Europe la planche à billets. Mais s’il y a pénurie, si les gens se mettent à grelotter de froid, et les entreprises à faire faillite, c’est alors qu’il faut commencer à s’inquiéter. Et à craindre la révolte.