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dimanche 11 juin 2023

Précarité

Depuis deux décennies, la plus importante erreur des opposants de Recep Tayyip Erdoğan a été d’avoir été incapable de mettre en place une stratégie d’union pour défaire celui qui tient la Turquie d’une main de fer depuis vingt ans. À chaque élection, législatives ou présidentielle, les adversaires politiques du maitre d’Ankara, divisés, n’avaient pas le support politique ou populaire pour vaincre, seuls, leur rival. Mais aujourd’hui, ils ont finalement mis en place une coalition qui fait craindre à Erdogan de perdre sa main mise sur le pays. Le premier tour de l’élection présidentielle turque se tient ainsi demain, et pour la première fois depuis longtemps, un pronostic est difficile à établir. Car, face au dirigeant de l’AKP (Parti de la justice et du développement) se dresse Kemal Kiliçdaroglu, à la tête d’une coalition de six partis. La dynamique impulsée par le chef du Parti républicain du peuple (CHP) a d’ailleurs poussé Muharrem Ince, autre candidat (crédité de 2 à 4 % des intentions, dauphin d’Erdogan en 2018), à quitter la course, ce jeudi. Un retrait qui pourrait favoriser le principal adversaire d’Erdogan, selon un institut de sondage turc. Une autre enquête d’opinion, publiée par le réputé institut Konda, crédite Kiliçdaroglu de 49,3 % des suffrages au premier tour, contre 43,7 % pour Erdogan. Alican Tayla, enseignant à l’Inalco et spécialiste de la Turquie, estime qu’un changement de régime peut se produire, mais appelle à relativiser la tendance. « Une grande partie des succès électoraux d’Erdogan se sont construits grâce à un bilan économique plutôt favorable. Or, la situation est catastrophique sur ce plan (85 % d’inflation l’automne dernier) en ce moment dans le pays. Mais, malgré ce bilan, il ne s’écroule pas dans les sondages », analyse l’expert, également doctorant à l’institut français de géopolitique. « Il y a une espèce de pragmatisme qui fait que tout un électorat flottant s’apprête à ne plus voter pour Erdogan du fait de la dégradation du pouvoir d’achat », a précisé Dorothée Schmid, chercheuse à l’IFRI (Institut français des relations internationales). Du côté de l’opposition la « campagne unie et assez efficace » a porté ses fruits et a gagné du terrain grâce à ses nombreuses propositions. Séparation stricte des pouvoirs, un « exécutif comptable » de ses décisions, un abandon du régime présidentiel. Dans son programme de 240 pages, l’alliance menée par Kemal Kiliçdaroglu annonce vouloir réinstaurer la démocratie dans le pays. En 1999, un séisme avait tué des milliers de Turcs, faisant naître un sentiment de révolte, alimenté par une situation économique précaire. Ces conditions avaient permis l’avènement d’Erdogan au sommet de l’État. Vingt-quatre ans plus tard, le tremblement de terre de février dernier qui a causé la mort de plus de 50.000 personnes a changé la donne. « Les énormes dégâts ont balayé l’image de prospérité qu’Erdogan et son parti imposaient », a jugé Osman Balaban, professeur d’urbanisme à l’université technique d’Ankara. Critiqué pour sa mauvaise gestion de la crise, le dirigeant de l’AKP, qui avait fondé une partie de son succès sur les grands projets immobiliers, espère que la séquence ne va pas lui être fatale. Erdogan qui n’a pas encore dû faire face à la défaite pourrait montrer un visage encore plus autoritaire s’il venait à perdre de peu face à ses adversaires demain. Surtout alors que ses sbires de l’AKP n’hésitent pas à se montre particulièrement violent, que cela soit en Turquie ou dans les pays avec une forte population turque, tels que l’Allemagne et la France.  Le président turc qui à fait main mise sur l’armée et la police ses dernières années pourrait ainsi refuser d’abandonner le pouvoir qu’il a patiemment amassé ses dernières décennies et montrer au monde son visage le plus tyrannique.

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