Comme lors de la présidentielle précédente, la gauche française n’aura pas de candidat au deuxième tour. C’est pourtant à elle, ou plus exactement à sa réserve de voix, qui reste importante, qu’il reviendra le 24 avril prochain de décider qui des deux finalistes de droite sera élu président de la République. Si ses forces actuelles ne lui permettent plus de faire accéder au deuxième tour l’un des candidats se réclamant d’elle, elle en conserve toutefois assez pour faire élire qui elle veut du camp opposé. C’était déjà le cas en 2017, mais ça l’est plus encore aujourd’hui, où les chances de l’extrême droite d’arriver au pouvoir se sont accrues dans l’intervalle. On dirait qu’à mesure que la droite étend son influence dans l’opinion, ce qu’elle fait bien sûr au détriment de la gauche, plus cette dernière, comme par compensation, est confortée dans son rôle d’arbitraire de ses divergences internes. Emmanuel Macron et Marine Le Pen ne seront pas départagés par les seules voix encore indécises appartenant à la droite, à supposer qu’il ne leur en manque aucune de celles qui se sont portées sur eux au premier tour, pour la bonne raison qu’elles ne sont pas suffisantes pour faire balancer en faveur de l’un ou de l’autre.
Au bout du compte, et ce n’est pas là le moindre des paradoxes de cette présidentielle, ce sont les électeurs de Jean-Luc Mélenchon qui sont à même de faire, ou à l’inverse de ne pas faire, le prochain président de la République. On sait quelle a été la consigne de leur candidat au soir du premier tour : ne pas donner une seule voix à la candidate d’extrême droite. Ils peuvent la suivre strictement aussi bien en votant Macron qu’en s’abstenant, ou qu’en votant blanc. Il est d’ailleurs prévu que la consigne soit précisée d’ici le 24 avril. Elle le sera probablement en fonction des propositions du président sortant en direction des couches sociales dont Mélenchon et les autres candidats de gauche ont été dans cette élection les représentants. Le président sortant étant considéré comme franchement à droite sur le plan économique, il lui faudra lâcher du lest s’il veut qu’une partie significative de cette réserve de voix lui revienne, quand bien même il serait certain qu’aucune de celles-ci n’irait à sa rivale. Le seul effort qu’il ait fait en ce sens, c’est de faire baisser d’une année l’âge de départ à la retraite, le faisant passer de 65 à 64 ans. Il ne semble pas que ce soit assez pour pousser les électeurs de gauche à lui donner massivement leurs voix, d’autant que Le Pen est plus coulante en la matière, et qu’elle-même n’est pas loin de se considérer de gauche, sur ce point comme sur d’autres. Que Macron soit peu enclin à faire des concessions à cet électorat précis, qui pourtant est de taille à faire la différence, c’est qu’il se refuse à en appeler au front républicain. Mieux, il estime que ce n’est pas à ce dernier qu’il doit son élection de 2017. Il se garde de dire ce qui en fait l’a fait élire alors, mais il n’est pas difficile de deviner qu’il met cela sur le compte de ses mérites personnels, et notamment à ceux d’entre eux qui lui ont permis d’écraser sa rivale dans leur débat du deuxième tour. Macron pense que ce sont ses qualités intellectuelles, supérieures à celles de sa rivale, qui ont convaincu une majorité de Français de voter pour lui en 2017, et que ce sont elles qui tout naturellement vont le faire réélire. Car il ne doute pas qu’il ridiculisera Le Pen comme il y a cinq ans.