Près de deux mois de guerre en Ukraine, tout se passe encore dans le monde réel comme dans les esprits, comme si dans le fond rien n’avait changé. Rien sauf qu’à la surface des choses, une grave perturbation dans l’ordre du monde est advenue, qui cherche à s’installer dans le temps, mais qui ne le pourrait pas, les forces de rappel étant déjà à l’œuvre qui finiront par l’emporter, car bien plus puissantes que l’espèce d’accident de parcours qu’elle représente. Concrètement, ces forces de rappel, ce ne sont rien d’autre que les pays occidentaux emmenés par leur leader, les Etats-Unis, sur le pied de guerre depuis le premier jour pour faire subir à la Russie une défaite stratégique, dont par définition il lui serait impossible de se relever. Leur première place dans le monde, comme leurs intérêts vitaux, leur dictent leur politique actuelle d’opposition radicale à l’invasion russe de l’Ukraine. Il est clair que sans la dissuasion nucléaire russe, la guerre ne resterait pas confinée en Ukraine ; il est même probable qu’elle aurait déjà débordé sur les pays voisins, avec de possibles répliques ailleurs dans le monde. Le fait est que les conditions sont réunies pour qu’éclate la troisième guerre mondiale.
Si on n’y est pas déjà, ce n’est pas grâce à la sagesse des nations impliquées au premier chef, mais à la peur du recours à l’arme nucléaire par la puissance en train de perdre la guerre. Or on peut affirmer dès à présent quelle que soit l’issue de cette dernière, le monde ne sera plus le même, à la fois dans l’ordre politique et dans l’ordre économique. Si la Russie la perd, elle ne sera plus la même, elle sera démembrée, quand bien même elle garderait entier son arsenal nucléaire. Celui-ci après tout n’a pas empêché l’effondrement de l’Union soviétique. Si c’est l’Otan qui la perd, c’en sera fini de l’hégémonie américaine, et dans la foulée, de celle de l’Occident dans son ensemble comme le centre du monde. Dans les deux cas, le monde aura cessé d’être celui que nous connaissons. Economiquement non plus le monde ne sera plus le même, même si, évidemment, il changera beaucoup plus avec la défaite de l’Occident qu’avec sa victoire. La meilleure preuve que le monde continue de fonctionner comme si de rien n’était, bien qu’il sache qu’un bouleversement majeur est en train de le travailler, ce sont les sanctions économiques prises par les Occidentaux seuls, avec toutefois le Japon et l’Australie, contre la Russie. Une sanction n’a de sens que dans le cadre de l’ordre mondial régnant. Si c’est celui-ci qui est menacé, les sanctions n’ont plus vraiment d’utilité ; tout au plus sont-elles un pis-aller. Les Occidentaux sont certes en train de soutenir le contraire, qu’elles restent au contraire d’une grande efficacité, que l’économie russe est en train de les subir de plein fouet. Oui mais sont-elles en mesure de lui faire faire marche arrière en Ukraine ? A coup sûr non. En fait, il n’est même pas évident que ce soit la Russie qui en pâtit le plus. La guerre, qui n’en est pourtant qu’à ses débuts, a déjà permis à quelque chose en préparation depuis plusieurs années d’accomplir un progrès sans doute décisif :
l’abandon du dollar en tant que principale monnaie dans les échanges internationaux. Là aussi il n’y aura pas de recul quel que soit le tour pris par la guerre, à moins peut-être que la Russie cesse d’exister dans sa forme actuelle.