La bataille de Bakhmout en Ukraine, depuis plusieurs mois la seule qui se mène en continu sur un front qui s’étend sur plus d’un millier de kilomètres, n’est pas encore terminée que déjà l’attention générale se porte ailleurs, précisément sur la contre-offensive ukrainienne annoncée pour ce printemps mais dont jusqu’à présent on ne voit pas même le bout. Sans les informations égrenées régulièrement sur les armes envoyées par les alliés, conformément aux promesses faites, on serait porté à croire qu’en fait elle est ajournée, en raison probablement du manque de préparation des forces ukrainiennes, tenues non seulement de l’assumer jusqu’au bout mais de la conduire au triomphe. Normalement, offensives et contre-offensives alternent dans une guerre, sans qu’il soit possible d’assigner par avance une fin à cette dernière. En l’occurrence, il y a déjà eu l’offensive russe correspondant à l’invasion de l’Ukraine un certain 24 février 2022, à quoi a fait suite en septembre de la même année la contre-offensive ukrainienne, chacun de ces moments s’étant caractérisé par des gains territoriaux, inégaux cependant, au bénéfice de la partie qui en a été à l’origine. La contre-offensive dont il est question aujourd’hui ne se présente pas comme un nouvel épisode où l’initiative revient au camp qui précédemment était sur la défensive.
Elle se donne ou plutôt est donnée par ses promoteurs comme une sorte d’assaut général devant conduire à la décision finale. Nul rebond ne devrait pouvoir se faire jour côté russe à son terme. A cette contre-offensive nulle autre ne doit faire suite. Sinon cela voudrait dire que la guerre se poursuit, et que donc l’initiative peut de nouveau repasser dans le camp russe, avec la possibilité que ce soit lui qui alors assène le coup fatal. Les Russes ont les moyens d’un conflit prolongé, de tenir la distance ; il leur est loisible de réaliser des succès puis de subir des défaites alternativement, jusqu’à l’épuisement des forces de l’ennemi, qui lui ne peut soutenir qu’une seule séquence, et encore, à la condition qu’elle soit victorieuse. Les Ukrainiens ne peuvent continuer à défendre Bakhmout et dans le même temps lancer leur contre-offensive. Pour eux, c’est l’un ou l’autre ; ce ne peut être l’un et l’autre. S’ils s’engagent dans la contre-offensive, ils abandonnent Bakhmout au groupe Wagner. Or que voit-on ? Qu’ils n’ont pas plus tôt reculé de quelques centaines de mètres dans Bakhmout qu’ils y envoient du renfort, à tout le moins pour ne pas céder davantage de terrain. Ce n’est pas là l’attitude d’une armée sur le point de déferler sur l’occupant avec l’intention de le submerger, de l’écraser ou de lui faire repasser les frontières. Interrogé à cet égard par «Associated Press» dans une longue interview récente, Volodymyr Zelensky a répondu qu’un abandon de Bakhmout serait désastreux dans la conjoncture actuelle. Ce serait tout profit pour Poutine, a-t-il expliqué, qui le vendrait tant en interne qu’en externe comme la victoire décisive. Bien entendu, ce serait naïf de prendre au mot le président ukrainien. Ce n’est pas à un média qu’il révélerait son plan de bataille. Il aurait même tendance à induire son monde en erreur. S’il s’accroche à Bakhmout, comme il est arrivé aux Américains de le lui reprocher, c’est peut-être pour mieux tromper l’ennemi. Il n’en reste pas moins vrai que son armée ne peut continuer et de résister à Bakhmout et de lancer la contre-offensive libératrice.