L’année 2022 n’a pas voulu nous quitter définitivement sans nous en apprendre davantage sur une notion que tout le monde avait cru plutôt bien connaître, depuis si longtemps en effet qu’elle est en débat, mais qui à l’occasion d’un incident tout récent s’est révélée quelque chose sur quoi en réalité il n’y a pas encore de consensus. En lui-même, le fait éclairant est le dernier attentat à Paris contre la communauté kurde en France, qui a coûté la vie à trois personnes. A priori, caractériser cet attentat d’acte terroriste va de soi, quand bien même on ne connaîtrait pas sur le moment le mobile du tueur – qui se trouve en l’espèce être un citoyen français, ce qu’il y a de plus français, de souche comme on dit, la précision n’étant pas de trop ici. Les premières déclarations des autorités françaises étaient pour dire que l’acte en effet leur semblait sortir du cadre habituel d’une tuerie de masse, comme il s’en produit dans le monde, mais plus particulièrement aux Etats-Unis, dont le déclencheur est toujours une bouffée délirante, un accès de folie irrépressible. Pour autant, il serait trop tôt pour qualifier l’acte en question de terroriste. Le dossier étant entre les mains de la Justice, c’est à elle qu’il appartient d’en décider.
Les mêmes autorités faisant preuve de prudence et de réserve n’auraient probablement pas hésité à parler d’acte terroriste si le tueur de la rue d’Enghien, tout en restant un citoyen français l’était toutefois de branche non pas de souche, pour reprendre un distinguo fameux, et qu’il avait crié « Allah Ouakbar » en tirant sur ses victimes kurdes. Dans le cas du citoyen de souche, le crime est raciste. Le même acte mais commis par le citoyen français de branche présumé serait aussitôt qualifié d’acte terroriste. Il se trouve que le tueur réel n’est pas à son premier crime du genre, s’étant déjà attaqué il y a quelques mois à un camp de réfugiés à Paris, se servant alors d’une arme blanche, d’un sabre a-t-on dit, une arme pour terroriste, mais sans faire de morts. Il ne lui aura manqué que de crier « Allah Ouakbar », ce qu’il n’a pas fait, et qui lui a valu les circonstances atténuantes, c’est-à-dire la clémence des juges. Il a été arrêté, condamné, puis libéré, le tout en l’espace de quelques mois seulement. Le cas est édifiant car l’on sait maintenant qu’un acte n’est pas en France terroriste par sa nature propre mais par celle de son auteur. Le même acte est terroriste s’il est commis par un arabe ou un musulman, quelle que soit par ailleurs sa ou ses nationalités, et seulement raciste si son auteur est un enfant pur sucre du pays. En l’occurrence d’ailleurs, s’il y a hésitation, ce n’est pas à ce propos, mais entre qualifier d’acte de raciste et le qualifier d’acte inspiré par la folie, celle-ci en soi est à la fois non politique et non idéologique. Il semble d’ailleurs que les enquêteurs penchent plutôt pour la deuxième hypothèse, puisqu’ils ont interrompu la garde à vue du prévenu pour l’envoyer dans un hôpital spécialisé. Bien entendu, on ne peut exclure que leur point de vue soit en définitive le bon, et que le tueur de la rue d’Enghien ne soit qu’un malade. Ce qu’on peut leur reprocher, et la chose est rien moins qu’anodine, c’est que cette idée ne leur serait pas venue, en tout cas pas en premier, si le coupable entre leurs mains était un de ces loups solitaires qui sans être membre d’aucune organisation terroriste connue s’était rendu coupable d’un forfait de même nature.