Entre le président Michel Aoun, un allié du Hezbollah, et Saad Hariri, un anti-Hezbollah de conviction, c’était couru d’avance : rien de ce que voudrait ou proposerait l’un en vue de la formation d’un gouvernement dans le contexte actuel ne saurait convenir à l’autre. Ils ont fini par s’en faire une raison, mais au bout de neuf mois de tractations inutiles ; un échec dans lequel leurs équations personnelles ne sont probablement pour rien. Ils n’ont cessé pendant tout ce temps de s’attribuer réciproquement la responsabilité d’un échec dont ils savaient par avance qu’il était inéluctable. Jusqu’au bout ils se sont renvoyé le reproche d’inflexibilité, même après s’être décidés à arrêter les frais. Une seule chose aurait pu les forcer à continuer de faire comme si un accord était possible entre eux : un relèvement du système financier libanais aujourd’hui à terre, en lui accordant par les soins du FMI, d’un autre bord, les secours d’urgence dont il a besoin. Une issue qui justement ne pouvait se produire que si un gouvernement comme le voulait Hariri, c’est-à-dire un gouvernement de technocrates, sans confessionnalisme et sans minorité de blocage, voyait le jour.
La France, en accord avec les Etats-Unis et l’Arabie saoudite, et partant avec tout ce qui a voix au chapitre dans ces questions dans le monde, ont conditionné cette aide à la formation d’un gouvernement sur lequel la classe politique, entendez le Hezbollah, n’aurait aucune prise. La détérioration continue des conditions de vie des Libanais, et le désordre susceptible d’en découler, leur avaient semblé de nature à abattre les oppositions au projet visant à normaliser le Liban. Normaliser le Liban, c’est bien sûr obtenir le désarmement du Hezbollah, une réalisation recherchée tant par ses adversaires politiques internes que par des Etats de la région, Israël et Arabie saoudite notamment. Une occasion se présente de mettre en échec le confessionnalisme, ou plus exactement le multi-confessionnalisme libanais, qui certes n’est pas celle qu’on voudrait mettre à profit si on avait le choix, mais qu’il serait d’autant plus impardonnable de laisser passer qu’il n’est pas dit qu’elle se renouvellerait. Le régime que les amis du Liban lui imposent depuis maintenant plusieurs mois est celui qui consiste à rendre très difficile, et au besoin impossible, la vie des Libanais. Il y a eu une première grande explosion, celle du port de Beyrouth, qui elle s’est produite toute seule, conséquence de l’incurie ordinaire, mais voilà, elle ne suffit pas. Il faudrait qu’une autre survienne : la rébellion de tout un peuple contre une classe politique à la réputation de corruption bien établie, n’est-ce pas ? Alors seulement, c’en serait fini du Hezbollah, à la fois un parti politique et une armée à même de donner du fil à retordre à la plus grande force militaire de la région, Israël. Dès à présent, les Libanais manquent à peu près de tout :
d’électricité, de carburant, de médicaments, d’argent, etc. Toutes choses nécessaires pour une vie un tant soit peu décente. Or apparemment il en faut plus pour faire céder Michel Aoun, pour l’amener par exemple à accepter sans changement la liste des ministres dressée par Saad Hariri. Faudrait-il donc recourir à l’arme de la famine pour venir à bout de sa résistance ? Comme déjà plus de la moitié de la population est tombée dans la pauvreté, que bien des familles n’envoient plus leurs enfants à l’école mais au travail, que les mineures sont mariées pour qu’il y ait moins de bouches à nourrir, le fait est qu’on n’en est pas loin désormais. Mais demain, si l’épidémie de famine se déclarait pour de bon, à côté de celle déjà à l’œuvre, que ferait Aoun, lui qui vient de se passer des services de Saad Hariri ? Laisserait-il aux amis du Liban un choix autre que celui de déclencher la famine ?