Il y a quelques jours, la femme de loi la plus célèbre aux États-Unis s’éteignait à 87 ans. Ruth Bader Ginsburg, juge à la Cour suprême américaine depuis 1993, laisse une place vide qui attise les convoitises des démocrates et des républicains, chacun des deux camps souhaitant combler cette chaise vide par une personnalité proche de son parti. Donald Trump a d’ailleurs annoncé cette semaine qu’il désignerait en fin de week-end une nouvelle juge pour la Cour suprême afin de succéder à Ruth Bader Ginsburg, et a martelé que le vote au Sénat devrait se tenir avant l’élection présidentielle, le 3 novembre, attisant une féroce bataille politique qui accapare déjà la campagne. Balayant les cris d’indignation des démocrates, le président a estimé que le Sénat, à majorité républicaine, avait «largement le temps» de confirmer la nomination d’une nouvelle magistrate avant le scrutin qui l’opposera à Joe Biden. «Je préférerais de loin qu’il y ait un vote avant l’élection», a-t-il souligné devant des journalistes. En s’envolant pour l’Ohio, il a réaffirmé qu’il prendrait sa «décision samedi, peut-être vendredi». Ce qui sonnera le coup de départ du processus de confirmation pour remplacer la juge, icône féministe et de la gauche américaine, décédée vendredi dernier des suites d’un cancer. Électrochoc dans cette campagne déjà bouleversée par plusieurs événements historiques, la succession de «RBG» au sein du temple du droit américain sera l’un des sujets majeurs de la présidentielle. L’enjeu est simple : solidement ancrée, ou non, la Cour suprême dans le camp conservateur pour des décennies. Joe Biden, qui mène dans les sondages, avait placé jusqu’ici au cœur de sa campagne la gestion par Donald Trump de la pandémie de Covid-19 et les quelque 200 000 morts aux États-Unis. Le décès de la magistrate a soudainement rebattu les cartes. Ayant promis de nommer «une femme très talentueuse», le locataire de la Maison-Blanche a précisé vouloir attendre la fin des cérémonies funéraires. En 2016, à la mort du conservateur Antonin Scalia dix mois avant la présidentielle, Mitch McConnell avait bloqué le processus pour le remplacer en arguant qu’il fallait laisser les électeurs choisir. Cette fois, il a promis dès vendredi que le Sénat se prononcerait sur un candidat de Donald Trump. Le Sénat votera «cette année», a-t-il martelé lundi sans préciser l’échéance. Sa majorité de 53 contre 47 est mince, et déjà deux sénatrices républicaines modérées ont estimé que le Sénat ne devrait pas se prononcer avant la présidentielle. Mais même sans eux, les républicains disposeraient d’assez de voix, grâce à l’intervention du vice-président Mike Pence qui peut départager en cas d’égalité, pour confirmer la remplaçante de «RBG». Joe Biden a dénoncé dimanche «un exercice de pouvoir politique brutal» de son rival, «un abus de pouvoir» s’il poussait réellement son remplacement avant l’élection. Les démocrates martèlent que Ruth Bader Ginsburg a laissé comme dernière volonté de ne pas être remplacée jusqu’à ce qu’un «nouveau président soit en fonction», selon la radio publique NPR. Donald Trump a balayé ces objections lundi : «C’est sorti de nulle part». «Au final, nous avons gagné l’élection. Nous avons une obligation». En 2016, sa promesse de nommer des juges conservateurs avait pesé dans le ralliement de nombreux électeurs évangélistes, au départ sceptiques devant ce milliardaire haut en couleur, divorcé deux fois. Trump a ainsi un atout de taille dans sa manche qu’il serait stupide de ne pas utiliser à 40 jours de la présidentielle et alors que cela pourrait lui faire gagner comme en 2016 des voix parmi les populations les plus conservatrices. Reste à savoir, toutefois, s’il arrivera à respecter toutes les conditions applicables à cette nomination dans un laps de temps aussi court, car un échec pourrait alors ternir encore son image et faire douter ses soutiens.
F. M.