L’émigration clandestine à destination de l’Europe n’est pas un phénomène nouveau, du moins à Mostaganem.Ce triste fléau avait commencé à Mostaganem dans les années soixante, juste quelques printemps après l’indépendance…
Par Lotfi Abdelmadjid
Tous se souviennent qu’au début de l’indépendance de l’Algérie, la France sollicitait en nombre la main-d’œuvre algérienne et beaucoup de jeunes ont pris leurs valises pour y émigrer.
Vers les années 1966, la demande de main-d’œuvre avait cessé et les portes à l’émigration vers la France se sont refermées. Juste après cela, à Mostaganem, l’ambition des jeunes de l’époque de partir comme leurs congénères ne s’était pas refroidie. Alors commençaient les tentatives de passages clandestins vers Marseille principalement. C’était le début du fléau à Mostaganem, même avec des départs quasi insignifiants à partir du port commercial.
A cette époque-là, le volume des exportations des agrumes et des céréales vers la France était assez important, d’où la fréquence des bateaux vers les ports français Marseille et Sète. Les cargos qui faisaient la navette hebdomadaire était ceux de la Compagnie Schiaffino, soit les navires tels que «Schiaffino I» et «Schiaffino II», «Notre Dame d’Afrique», le «Relizane» et le «Mostaganem».
Les candidats à l’émigration clandestine de l’époque était rarissimes car cela ne concernait que ceux vivant dans le chef-lieu de la wilaya et qui fréquentaient le port commercial. Aussi, faut-il le souligner, les moyens de communication de l’époque n’étaient guère à la portée de tout le monde. Nonobstant, il y avait un embryon d’organisation mais extrêmement discrète.
D’abord les passeurs furent des dockers ou même des manutentionnaires journaliers bien informés sur les départs des cargos vers Marseille.
Marseille, une destination prisée car la traversée ne dépassaient jamais les 36 heures et était sécurisée. D’abord pour se constituer candidat, il faut être bien informé sur les mouvements des bateaux afin de ne pas se glisser dans une cale de cargo qui va faire plusieurs semaines de navigation au risque de mourir, par asphyxie, de soif ou de faim, au fond de la cale du navire. Il faut aussi être bien informé du produit transporté par le bateau en partance.
Il y avait, à cette époque, des cargos à éviter car ils transportaient des produits dangereux. Le danger était qu’une fois les cales fermées, certaines marchandises rejetaient des émanations de gaz toxiques. Pour ceux qui n’étaient pas dockers, ils travaillaient journaliers car à cette époque le volume des exportations était important et le port avait besoin de main-d’œuvre à la journée ou à la demi- journée.
Les candidats «harraga» étaient parmi les journaliers manutentionnaires. Ceux qui n’avaient pas la chance de décrocher le jeton pour l’embauche cette journée, accédaient clandestinement à l’enceinte du port par le tunnel de «Chagnon» éxistant sur la voie ferrée. Ces derniers se rassemblaient toujours sur les hauteurs du tunnel, mais cachés dans les vieilles cuves bunkérisées de la cave «Savignon» que l’on a toujours nommée «Dar El Kahla». Il faut préciser que cet endroit se trouvant sur les hauteurs du port devenait, pour les candidats, un poste d’observation qui servait à surveiller les mouvements des navires. Ce poste servait, pour les candidats venus d’ailleurs, d’hébergement jusqu’à l’embarquement.
A cette époque, il y avait des passeurs qui s’occupaient à fournir la bonne information sur les destinations, préparaient aux candidats à l’émigration la cachette parmi les marchandises dans la cale qui y convenait leur garantissant un minimum de confort et surtout la sécurité de ne pas être débusqués.
Toutefois, les bateaux ciblés ont souvent été ceux qui transportaient les agrumes car c’est parmi l’arrangement des caisses d’oranges en bois que l’on réserve un espace nommé à l’époque ‘»El Gourbi»
Il faut préciser aussi que certains avaient embarqué dans des pinardiers, bateaux citernes pour le transport du vin, mais dans certains recoins du navire. En général, il furent toujours déloger car les pinardiers sont souvent à un seul caboteur, donc trop petits.
Vers la fin des années soixante, on observait une recrudescence de la «harga», car l’information sur cette possibilité de passage clandestin s’est assez vulgarisée, se propageant vers les zones rurales.
A partir de là, le nombre des candidats à l’émigration clandestine s’accroissait et les risques avec… Beaucoup de candidats, par manque d’informations, se sont glissés dans des cargos dont la destination n’était pas connue ; traversant, souvent,
l’océan ou faisant des escales dans plusieurs ports sans que les cales ne soient ré-ouvertes… C’était la mort assurée. Beaucoup sont morts de soif et de faim, quelques fois asphyxiés par l’émanation de produits chimiques.
Il faut aussi souligner que, selon des dires, certains clandestins débusqués au cours du voyage, auraient été jetés carrément à la mer par des marins criminels. Après la recrudescence de la «harga» à cette époque, le port commercial de Mostaganem devient une plateforme des passages clandestins, surtout vers la France. C’est ainsi que la surveillance des entrées et sorties du port se sont consolidées, luttant ainsi contre le fléau qui ne cessait de prendre de l’ampleur.
Vers la fin des années soixante, l’Algérie a criminalisé le phénomène, faisant de ce dernier un délit. Pour l’anecdote, quelques fois des clandestins ayant embarqué clandestinement à partir des ports de l’est ou du centre du pays débarquaient au port Mostaganem, se croyant à Sète ou à Marseille. Aujourd’hui, le drame est encore là, mais sous un autre type d’organisation. Un drame qui ne dit pas son nom.
L. A.