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jeudi 28 mars 2024

Massacres du 17 octobre 1961 à Paris: Un crime colonial longtemps occulté par la France

A quelques mois de la fin de la guerre d’Algérie, le 17 octobre 1961, Paris a été le lieu d’un des plus grands massacres de civils commis en Europe au 20e siècle. Ce jour-là, des milliers d’Algériens étaient sortis manifester pacifiquement pour protester contre le couvre-feu discriminatoire imposé par le sanguinaire préfet de police de la capitale, Maurice Papon. La réponse policière sera violente et meurtrière.

Par Louisa Ait Ramdane

Les rues de Paris étaient jonchées de corps d’innocents Algériens dont un grand nombre fut jeté vivants dans les eaux glaciales de la Seine, alors que d’autres ont été exécutés sommairement par balle, battus à mort ou pendus aux arbres des bois. Les chiffres parlent de 300 à 400 morts par balle, par coups de crosse ou par noyade dans la Seine, de 2 400 blessés et de 400 disparus suite à une sauvage répression policière. Ce massacre a été longtemps occulté. L’historien Jean-Luc Einaudi avait fait remonter de la mémoire collective en France ces massacres dans son ouvrage «La Bataille de Paris», dans lequel il raconte l’histoire de ce massacre oublié pendant des décennies, refoulé par la conscience collective, étouffé par le gouvernement. Dans un autre témoignage, l’historien et universitaire français Olivier Le Cour Grandmaison a estimé que ce serait une erreur de vouloir porter le chapeau à Papon seul, soulignant que les massacres du 17 octobre 1961 doivent être reconnus par l’Etat français, responsable et coupable. D’ailleurs, il a qualifié ces massacres de «crime d’Etat contre l’humanité», commis en vertu d’un «plan concerté» à l’encontre de civils qui furent «torturés et sommairement exécutés». «Ce qui a été perpétré alors est bien un crime d’Etat», a affirmé Le Cour Grandmaison dans un entretien à l’APS, relevant que «la question désormais est moins celle de la connaissance de ces massacres que celle de la reconnaissance des crimes d’Etat commis alors». Pour Henri Pouillot, témoin de la guerre de Libération nationale et militant anticolonialiste, «ce n’est pas un simple pardon qui est nécessaire. Le pardon, c’est simplement la demande d’une excuse pour une petite faute, pas possible pour un crime». Cet anticolonialiste français souligne que «c’est à ce prix qu’un traité d’amitié entre l’Algérie et la France est possible. Ce traité d’amitié est nécessaire et indispensable, compte tenu des liens nombreux et des familles éclatées des deux côtés de la Méditerranée».
Avec un langage cru et sans ambages, il a expliqué que le colonialisme, les tortures, les viols, les camps d’internement, pudiquement appelés regroupements ou encore les crevettes Bigeard, sont des crimes contre l’humanité, ceux du 17 octobre 1961 et du 8 février 1962 sont des crimes d’Etat, alors que l’utilisation du gaz Vx et Sarin, les villages rasés au napalm (entre 600 et 800), les essais nucléaires, les exécutions sommaires et les corvées de bois sont des crimes de guerre. Pour ce qui est des propos tenus par le Président Macron sur l’Algérie, Pouillot a estimé que depuis quelques mois déjà, Macron cherchait à instrumentaliser les mémoires de la guerre de Libération nationale. Les massacres du 17 octobre 1961, en plein cœur de la capitale française, sont un évènement emblématique et un paroxysme de la violence coloniale qui s’est exercée pendant toute la durée de la colonisation de l’Algérie et en réponse à sa guerre d’indépendance nationale, a précisé Gilles Manceron, historien français spécialiste de la colonisation française, également vice-président de la Ligue française des droits de l’homme et auteur de plusieurs ouvrages sur la colonisation française. Pour lui, «la connaissance de cet épisode tragique et décisif de la guerre d’indépendance algérienne doit être approfondie par les historiens». Concernant les propos du Président français Emmanuel Macron contre l’Algérie, Manceron a indiqué que ces propos «ne devraient pas être tenus par un chef d’Etat». «Les plus graves concernent l’affirmation de l’inexistence d’une nation algérienne avant la colonisation française, ce qui est la reprise d’un élément traditionnel du discours colonial». L’historien a affirmé que «ce n’est pas aux gouvernements d’écrire l’histoire, c’est aux historiens. Cette grave erreur historique en est la preuve», a-t-il fait valoir, affirmant qu’«avec ce type de déclarations, Emmanuel Macron tourne le dos à ses déclarations de 2017 qualifiant la colonisation de crime contre l’humanité».
Pour le chercheur en histoire Fouad Soufi, «ces événements sont bel et bien des massacres», martèle-t-il, déplorant qu’ils aient, toutefois, «pratiquement disparu de notre histoire». Et de plaider, à ce propos : «Je crois que ce qui est important pour une connaissance toujours plus approfondie de notre histoire, c’est que, désormais, il nous faut nommer et non plus seulement compter !».
Le Dr Saâdaoui Mustapha, enseignant d’histoire à l’université, a estimé que ces massacres perpétrés sous l’ordre du sinistrement célèbre préfet de Paris Maurice Papon, étaient un «crime d’Etat». La responsabilité sur ce qui s’est passé le 17 octobre 1961 à Paris incombe également à Michel Debré, alors Premier ministre et à Roger Frey, son ministre de l’intérieur, pas «uniquement» à Maurice Papon qui était préfet de la police de Paris et avait réprimé dans le sang la manifestation pacifique des Algériens, dont des dizaines furent jetés dans les eaux glaciales de la Seine. La police française avait commis le massacre pour éviter que la manifestation ne «renforce la position du FLN et faire en sorte de minimiser l’impact de cette démonstration sur les négociations», a-t-il poursuivi, ajoutant que le plus clair des Français voyaient la manifestation du 17 octobre 1961 comme «un envahissement» des rues de Paris par la communauté «indigène».
L. A. R.

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