Le retour de Lula da Silva à la tête du Brésil, débutant le 1er jour de la nouvelle année, est sans aucun doute le seul événement qui ait été agréable au monde dans son ensemble, si l’on excepte bien sûr ceux qui ont regretté la défaite de son sulfureux rival Jair Bolsonaro, et qui selon toute apparence ne doivent pas être nombreux. L’élection, ou plutôt la réélection de celui qu’à peu près tout le monde appelle affectueusement Lula, a fait, une fois n’est pas coutume, consensus parmi des puissances que par ailleurs tout ou quasiment oppose, probablement davantage aujourd’hui que par le passé. En son temps, leurs chefs d’Etat se sont empressés de la reconnaître, d’autant plus qu’ils voyaient qu’au Brésil même les perdants étaient fort tentés de la contester, encouragés en cela par des résultats bien plus serrés que ceux qui étaient prévus. Le risque n’était pas négligeable en effet que Bolsonaro non seulement se décide à récuser sa défaite, que soit dit en passant il n’a toujours pas reconnue, mais au contraire appelle ses millions de partisans à la contester par tous les moyens disponibles, prenant en cela exemple sur Donald Trump.
Pour une fois, les messages de félicitations des grands de ce monde envoyés à ce moment précis à l’adresse du gagnant, d’habitude une banalité d’usage, ont contribué peut-être de façon décisive à la mise en forme de l’événement, évitant de la sorte une grave crise politique au Brésil, pièce maîtresse de tout un continent. Est-ce tout à fait un hasard si le jour même de l’intronisation de son rival, Bolsonaro, refusant de remettre l’écharpe de président, ainsi que le veut la tradition, s’est envolé – d’autres diraient s’est enfui – pour la Floride, le fief de Trump ? Dans son discours inaugural, Lula, sans le nommer, a fortement suggéré qu’il n’en était pas quitte pour autant avec la Justice de son pays. Voilà qui prouve que l’unanimité dont son élection a fait l’objet au plan international n’a pas eu une traduction équivalente au Brésil même. Celui-ci n’est pas moins polarisé aujourd’hui qu’il l’était avant la dernière présidentielle. Lula a été réélu avec seulement un million de voix d’avance sur Bolsonaro. Si lui et ses alliés ont bien réussi le pari de le faire revenir à la tête de l’Etat, ils ont en revanche perdu aux législatives, aux sénatoriales et aux locales qui toutes se sont tenues le même jour. Le programme de Lula consistant pour l’essentiel à défaire ce qui a été fait par son prédécesseur, au triple plan, économique, social et environnemental, rencontrera l’opposition d’une majorité conservatrice, où domine le Parti libéral de Bolsonaro. Ce n’était pas le cas lors de ses deux précédents mandats. Lula, certes, n’est pas seulement un politique, c’est aussi un militant convaincu des droits sociaux et humains, de la diversité culturelle caractéristique du Brésil, en plus d’être un opposant intransigeant de la déforestation. Il se battra pour la réalisation de son programme, mais avec les moyens légaux, et seulement avec eux. Ce qui dans les faits peut s’avérer insuffisant. Compte tenu de la forte polarisation qui marque aujourd’hui le Brésil, non moins grande que celle que l’on voit aux Etats-Unis sinon davantage, on peut douter qu’il puisse mettre en œuvre son ambitieux programme sans recourir à d’autres moyens que ceux qu’autorise la démocratie libérale brésilienne, à laquelle il s’est toujours montré fortement attaché.