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mardi 19 mars 2024

L’ombre de Maryam Mirzakhani

Le 14 juillet 2017 mourait d’un cancer à l’âge de 40 ans, à Stanford en Californie, la célèbre mathématicienne iranienne, Maryam Mirzakhani, la première femme à avoir reçu la très convoitée médaille Fields, en quelque sorte le prix Nobel en mathématiques. (La deuxième femme à obtenir la même récompense est l’Ukrainienne Maryna Viazovska, ce qui s’est produit cette année). Les hommages n’ont cessé depuis de lui être rendus, dans son pays natal, dans lequel elle vivait encore quand, encore adolescente, elle obtenait ses premiers prix, aux Olympiades internationales de mathématiques de Hong Kong une première fois, à celles de Toronto une deuxième, une année seulement plus tard, comme dans bien des endroits dans le monde. Au moment de sa disparition, c’était Hassan Rohani qui était président de la République islamique, qui dans son message de condoléances a fait l’éloge de la mathématicienne en des termes forts, célébrant notamment «l’éclat sans précédent de cette scientifique créative et de cet être humain modeste, qui a fait résonner le nom de l’Iran dans les forums scientifiques du monde…». Le président Rohani lui-même, les journaux iraniens, d’autres responsables, des organismes officiels, n’ont pas hésité alors à publier des photos de Mirzakhani la tête découverte, prises toutes à l’étranger, probablement nombre d’entre elles aux Etats-Unis où elle vivait et enseignait à la fin de sa vie.

Il ne semble pas qu’il y ait eu des conservateurs purs et durs pour protester contre cette violation de la loi de 1983 faisant aux femmes de se montrer la tête couverte dans l’espace public. Le voile, cela faisait longtemps que Mirzakhani ne le portait plus. Si bien que l’Iran, dont elle était ressortissante, avait le choix entre lui rendre hommage mais en faisant l’impasse sur son image, ce qui pour le moins aurait été en contradiction avec le propos, ou bien se rendre à l’évidence et admettre que cette femme si méritante avait rompu avec le voile, et que c’est sans lui qu’il fallait la montrer et faire son éloge, c’est-à-dire la donner en exemple aux autres Iraniennes. On peut donc dire que sans le vouloir le moins du monde, ce sont les autorités elles-mêmes qui en quelque sorte ont fait tomber le voile. La mort de Mahsa Amini dans les locaux de la police des mœurs l’a achevé, il est vrai quelque cinq années plus tard. Certes la loi en question, celle de 1983, n’est pas encore abrogée, mais comme la police des mœurs selon toute vraisemblance est déjà dissoute, tout porte à croire qu’elle ne saurait tarder à l’être. Depuis que la jeune fille est décédée, ce qui est arrivé le 16 septembre, une date dans l’histoire de l’Iran, il ne semble pas qu’il y ait eu dans ce pays des gens pour rappeler aux autorités qu’elles-mêmes n’avaient eu d’autre choix que d’abandonner le voile, il y a cinq ans quand il leur avait fallu publier la photo sans voile d’une femme iranienne, certes d’exception. Mais on peut être certain que beaucoup d’Iraniens ont mis en parallèle les deux événements. Le cas de Maryam Mirzakhani montre l’impossibilité d’imposer à la femme iranienne d’aujourd’hui un code vestimentaire d’un temps révolu. Le régime semble avoir compris qu’il lui faut jeter du lest sur ce plan, autrement il se mettait en grand danger.

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