Si les talibans ont régné sans partage sur l’Afghanistan de 1996 à 2001 en y instaurant des règles de vies drastiques, particulièrement cruelles à l’égard des femmes, les dirigeants et les instances occidentales font mine aujourd’hui de découvrir ce mouvement qui n’a jamais caché son intégrisme et sa violence. Néanmoins, depuis la prise de Kaboul par le mouvement fondamentaliste islamiste la semaine dernière, les déclarations se multiplient en Occident pour demander de la «modération» et de l’«inclusion». Le traitement des femmes par les talibans sera ainsi une «ligne rouge», a prévenu hier la Haute-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, lors d’une réunion spéciale du Conseil des droits de l’homme sur l’Afghanistan. «Une ligne rouge fondamentale sera la façon dont les talibans traitent les femmes et les filles et respectent leurs droits à la liberté, à la liberté de mouvement, à l’éducation, à l’expression personnelle et à l’emploi, conformément aux normes internationales en matière de droits humains», a déclaré Michelle Bachelet, à l’ouverture des débats. «En particulier, la garantie de l’accès à une éducation secondaire de qualité pour les filles, sera un indicateur essentiel de l’engagement des talibans en faveur des droits humains», a-t-elle ajouté. Le CDH organise trois sessions ordinaires par an, mais si un tiers des États membres en fait la demande, il peut décider à tout moment de tenir une session extraordinaire. La session extraordinaire sur l’Afghanistan se tient à la demande du Pakistan, en tant que coordinateur de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) sur les droits humains et les questions humanitaires, et de l’Afghanistan, représenté par Nasir Ahmad Andisha, le diplomate que l’ancien gouvernement avait nommé, avec le soutien de près d’une centaine de pays, dont la France et les États-Unis. Nasir Ahmad Andisha a appelé le CDH à envoyer «un message fort à toutes les parties, y compris aux talibans, pour leur faire comprendre que les atteintes aux droits humains auront des conséquences». Pendant les débats, une soixantaine de pays ont présenté une déclaration conjointe, lue par la représentante espagnole auprès des Nations unies, Aurora Diaz-Rato, demandant notamment «l’arrêt immédiat des assassinats ciblés de défenseurs des droits des femmes». Depuis leur prise du pouvoir le 15 août, les talibans tentent de convaincre la population qu’ils ont changé et que leur régime sera moins brutal que le précédent, entre 1996 et 2001. Ils ont notamment affirmé qu’ils respecteraient les droits des femmes, qu’elles seraient autorisées à recevoir une éducation et à travailler, et que les médias seraient indépendants et libres. Mais cela n’endigue pas le flot de ceux qui ne croient pas en leurs promesses et veulent à tout prix partir pour rejoindre l’Europe ou l’Amérique du Nord. À Kaboul, des milliers de personnes se massent autour de l’aéroport en espérant pouvoir quitter leur pays à bord des avions affrétés par les Occidentaux. Michelle Bachelet a indiqué avoir reçu «des informations crédibles faisant état de graves violations du droit humanitaire international et d’atteintes aux droits humains dans de nombreuses zones sous le contrôle effectif des talibans (…) Les violations des droits humains sapent la légitimité de leurs auteurs, à la fois vis-à-vis de la population, mais aussi des institutions régionales et internationales et des autres États». La ligne rouge dessinée par les Occidentaux risque de faire surtout rire les talibans plus qu’autre chose, à l’instar de cette journaliste britannique demandant aux nouveaux conquérants de Kaboul s’ils accepteraient des femmes responsables politiques et provoquant l’hilarité de ses interlocuteurs. Les femmes afghanes savent ainsi à quoi s’en tenir et les talibans, après avoir épuisé les militaires américains et leurs alliés durant vingt ans, savent que personne ne viendra, cette fois-ci, déranger leur nouvelle prise de pouvoir.
F. M.