Lorsqu’une élection charnière, fondatrice même, comme la présidentielle du 24 décembre en Libye, finit par ne pas se tenir, en dépit de la pression internationale exercée pour ce faire, il faut craindre que ce soit la voie pacifique dans son ensemble qui se dénonce comme impraticable. La plus étonnant dans le cas libyen, c’est qu’à la veille de la présidentielle, tout le monde se demandait encore si elle allait ou non se tenir. Probablement les factions libyennes se doutaient bien qu’elle n’aurait pas lieu, mais comme elles avaient pris soin de désigner des candidats, elles avaient réussi à faire accroire qu’elles-mêmes ne savaient pas. Il est toujours plus facile de s’expliquer les choses après coup. Reste qu’une élection dont les parties prenantes n’avaient pas pris préalablement l’engagement d’en respecter les résultats quels qu’ils soient pouvait se terminer plus mal encore. De sorte que sa non-tenue est peut-être plus une bénédiction qu’une malédiction. Peut-être qu’en effet la paix en Libye y a gagné plutôt que perdu, ne serait-ce que parce qu’on ne voit nul camp en appeler aux armes pour rentrer dans ses droits spoliés, ce à quoi on aurait sans doute assisté si l’élection avait eu lieu. S’agissant de la communauté internationale, il n’y a eu jusqu’à présent que l’ambassadeur américain, et la conseillère du secrétaire général de l’ONU, elle-même tout de même une Américaine, pour regretter que les Libyens n’aient pu faire usage de leur droit de vote. Aucun des Etats impliqués dans la crise libyenne, et qui récemment encore n’hésitaient pas à menacer ceux des Libyens qui entraveraient la présidentielle, ne s’est encore manifesté. La France avait organisé une conférence internationale sur la Libye à l’approche de sa tenue, uniquement pour mettre en garde ceux qui seraient tentés de s’y opposer des graves conséquences de leurs actes. Mais ni à la veille du 24 décembre ni le jour d’après, elle n’a cru devoir s’exprimer sur le sujet. Elle n’est pas la seule dans ce cas. L’Italie et l’Allemagne se taisent elles aussi. Laissons de côté les pays présents militairement en Libye, qui dès le début ont préféré agir plutôt que parler. Eux se féliciteraient plutôt du ratage, à leurs yeux la garantie que tout resterait en l’état, et d’abord les soldats et mercenaires qu’ils ont sur place. Si l’élection s’était tenue, ils seraient aujourd’hui à s’occuper de leur rapatriement. Le seul organisme à s’être fendu d’une déclaration, c’est la Haute commission électorale libyenne, et ce fut pour s’en remettre au Parlement, tout en préconisant le report d’un mois seulement. Notons qu’elle a attendu pour cela les toutes dernières heures précédant le jour « j ». Il était temps parce qu’on se demandait déjà si par hasard elle ne s’était pas sabordée. Toujours est-il qu’elle a fait une proposition, ce qui n’est pas rien quand à peu près tous les bords ayant voix au chapitre ne savaient pas, et ne savent toujours pas d’ailleurs, à quoi se résoudre. Un mois, cela semble néanmoins un délai un peu court. On se prend à se dire qu’une échéance qui pourrait se tenir dans un mois aurait pu se tenir à sa date, le 24 décembre. Le Parlement se serait déjà attelé à mettre sur pied une commission chargée de faire des propositions sur ce qu’il y a lieu de faire maintenant.
Mohamed Habili