Les Libanais votaient hier pour choisir leurs députés, un premier test pour les candidats indépendants et groupes d’opposition ayant émergé à la suite d’un soulèvement populaire déclenché en octobre 2019 pour exiger le départ d’une classe politique accusée de corruption et d’incompétence.
Par Mourad M.
Le scrutin devrait cependant maintenir le statu quo en faveur des forces politiques traditionnelles, pourtant tenues pour responsables de la pire crise socio-économique dans laquelle est englué le Liban depuis 2019, préviennent les experts.
La loi électorale a été taillée à l’avantage des forces au pouvoir, dans un pays régi par un système de partage communautaire du pouvoir alimentant corruption et clientélisme.
Un important dispositif de sécurité a été déployé pour ce scrutin auquel étaient appelés quelque 3,9 millions d’électeurs qui devaient renouveler les 128 membres du Parlement. Les résultats sont attendus aujourd’hui.
L’affluence était faible dans la plupart des régions deux heures après l’ouverture des bureaux de vote (1,67 % selon le ministère de l’Intérieur). Les médias locaux ont fait état de coupures d’électricité dans plusieurs bureaux de vote, malgré les promesses du ministère de l’Intérieur que le courant serait fourni sans interruption.
«Je suis pour le changement, car nous connaissons cette classe politique, inchangée depuis la fin de la guerre civile il y a trois décennies», affirme à l’AFP Nayla, après avoir voté à Gemmayzeh dans la capitale. Pour cette étudiante de 28 ans, le Liban a grandement besoin de «nouveaux visages».
Selon des experts, des candidats indépendants devraient gagner plus de sièges qu’en 2018, mais aucun changement majeur dans l’équilibre des forces n’est attendu.
Après avoir voté dans le quartier de Karantina à Beyrouth, Cynthia Toukajian, une consultante de 37 ans, dit «espérer que ceux ayant participé au maintien d’un système défaillant, se sentent aujourd’hui dans le devoir de participer à son assainissement en votant contre les partis au pouvoir».
Les élections se tenaient conformément à une loi adoptée en 2017, à l’avantage des partis au pouvoir, et en l’absence du principal leader sunnite Saad Hariri, qui les boycotte.
Les législatives de 2018 avaient été dominées par le puissant Hezbollah chiite pro-iranien et ses alliés, notamment le Courant patriotique libre (CPL) du Président Michel Aoun et le mouvement chiite Amal, du président du Parlement, Nabih Berri.
Aujourd’hui, le Liban est englué depuis 2019 dans une crise socio-économique classée par la Banque mondiale comme la pire au monde depuis 1850 et causée par des décennies de mauvaise gestion et de corruption d’une classe dirigeante quasi inchangée depuis des dizaines d’années.
En près de deux ans, la monnaie nationale a perdu plus de 90 % de sa valeur sur le marché noir et le taux de chômage a presque triplé. Près de 80 % de la population vit désormais en dessous du seuil de pauvreté, selon l’ONU.
Il s’agit, par ailleurs, des premières législatives depuis l’explosion dévastatrice au port de Beyrouth le 4 août 2020, qui avait fait plus de 200 morts et ravagé des quartiers entiers de la capitale. La chute libre de l’économie et l’effondrement des services publics de base ont poussé un grand nombre de Libanais à quitter le pays.
Mais certains, comme Mariana Vodolian, porte-parole des familles des victimes de l’explosion au port, espèrent un changement à travers ces élections, «car nous sommes contre ce système qui nous a gouvernés pendant 30 ans, qui nous a volés et nous a fait exploser», a dit à l’AFP cette femme de 32 ans.
Une grande partie des candidats, parmi les partis traditionnels et les indépendants, ont mené leur campagne avec des slogans «souverainistes», accusant le Hezbollah de servir les intérêts de l’Iran et de maintenir son emprise sur le Liban grâce notamment à un important arsenal militaire.
Malgré la grogne, la classe politique profite de l’absence de l’État, désormais incapable de fournir les services de base tels que l’électricité, les médicaments ou le carburant, pour activer ses réseaux de clientélisme communautaire traditionnel, cherchant à gagner la faveur des électeurs en offrant des aides financières.
«L’effondrement économique est le principal moteur d’un changement, les aspects politique, social et sécuritaire étant essentiellement les conséquences de la crise économique», écrit le chercheur Sam Heller dans un article publié sur le site du groupe de réflexion américain The Century Foundation.
M. M.