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vendredi 19 avril 2024

Liban: La crise terrasse le pays

Durant les longues années de la guerre civile libanaise, Abla Barotta et sa famille se précipitaient au sous-sol pour se mettre à l’abri des bombardements et des tirs d’obus. Mais dans un Liban en plein effondrement, quel refuge pour échapper à la pauvreté ?

Par Mourad M.

Dans son appartement d’un vieux quartier de Beyrouth, la quinquagénaire s’est remise de ses blessures du 4 août, quand l’explosion meurtrière du port a ravagé la moitié de la capitale, et son foyer a pu être rebâti grâce à des ONG.
Pendant le conflit qui a déchiré le Liban entre 1975 et 1990, «on avait peur de mourir tué par un obus ou un franc-tireur», se souvient Mme Barotta.
«On entendait les bombardements, on se cachait dans la maison ou dans les abris. Mais, aujourd’hui, comment se cacher de la faim ? De la situation économique ? Du Covid ? De nos dirigeants ?», déplore cette mère de trois enfants.
Pour de nombreux Libanais, avec la dépréciation historique de la monnaie, les restrictions bancaires draconiennes et l’inflation galopante, leur nation vit peut-être aujourd’hui une situation plus grave encore que les jours noirs de la guerre civile.
Le petit pays du Proche-Orient marque demain mardi le 46e anniversaire de ce conflit.
Le 13 avril 1975, les premiers affrontements éclataient entre partis chrétiens et factions palestiniennes appuyées par des partis de gauche et musulmans.
Quinze années durant, les fronts vont se multiplier et la guerre impliquera des acteurs régionaux.
Le Liban multiconfessionnel se morcelle, les communautés se barricadent dans leurs régions. Les miliciens font la loi, recevant des armes et surtout de précieux dollars des soutiens étrangers.
Mais les escalades sont ponctuées de périodes d’accalmie, offrant un semblant de normalité. L’économie continue de tourner et les commerces rouvrent dès qu’ils le peuvent.
«Malgré les horreurs de la guerre (…), nos besoins étaient couverts», assure Mme Barotta.
Le conflit, qui a fait plus de 150 000 morts et 17 000 disparus, prend fin en 1990. Les seigneurs de guerre troquent leur treillis militaire pour le costume-cravate, enchaînant les postes au gouvernement et au Parlement sans jamais construire un État de droit et des institutions dignes de ce nom.
Jusqu’à ce que l’édifice bancal ne s’écroule, avec l’effondrement économique de l’automne 2019, malgré les mises en garde cette année-là d’un mouvement populaire inédit qui dénonce la corruption et l’incompétence des dirigeants.
Aujourd’hui, 55 % des plus de quatre millions de Libanais vivent sous le seuil de pauvreté, avec moins de 4 dollars par jour, selon l’ONU.
«Nous n’avions jamais vécu ça, une telle crise économique, l’inquiétude de savoir ce qu’on allait manger le lendemain», estime Mme Barotta dans sa salle à manger encombrée par des meubles en bois sombre.
Ces dernières semaines, des rixes ont eu lieu dans des supermarchés entre des clients à la recherche de produits subventionnés, comme l’huile ou le riz. Les pénuries s’enchaînent et trouver certains médicaments ou du lait pour bébé relève du parcours du combattant.
Le Covid-19 ? Une plaie de plus pour ce petit pays qui compte à ce jour près de
500 000 cas et plus de 6 600 morts.
Malgré l’urgence, les politiciens restent absorbés par leurs querelles. Le pays attend depuis des mois la formation d’un nouveau gouvernement qui ne vient pas. La communauté internationale s’agite en vain.
A la crise économique s’est ajoutée la gigantesque explosion, le 4 août 2020, de centaines de tonnes de nitrate d’ammonium – stockées en pleine ville depuis des années au mépris des risques –, qui a fait plus de 200 morts et des milliers de blessés.
Dans son quartier de Karantina, accolé au port, Jean Saliba, 63 ans, énumère le nom des familles qui ont perdu un proche.
Huit mois après la tragédie, des volontaires s’activent encore pour finir les reconstructions.
«Nous n’avons pas vu l’État», accuse le sexagénaire. «Sans les aides (…) des ONG, les gens n’auraient pas la force de persévérer».
Pour ce père de trois enfants, la guerre civile est «une goutte d’eau dans un océan» comparée aux horreurs vécues ces derniers mois. Pendant la guerre, se souvient-il, les gens reprenaient le travail quand les bombardements se tassaient ou quand une trêve était décrétée.
«Mais aujourd’hui, qui peut gagner de l’argent ?», s’interroge-t-il, alors que le taux de chômage frôle les 40 %.
Il vit grâce à une petite échoppe où il vend des tickets de loto. «Il n’y a plus de travail, économiquement, on est fini. On est un pays qui vit de la mendicité».
A l’autre bout de la ville, Victor Abou Kheir tient un petit salon de coiffure. Depuis 1965, la décoration n’a pas changé : les mêmes fauteuils rétro en cuir noir, les armoires vitrées, l’étincelant formica blanc. Pendant la guerre, il a été kidnappé et on a tiré sur sa boutique. Quand les bombardements s’intensifiaient, il baissait son rideau.
Mais pour l’homme de 77 ans au crâne dégarni, ce passé est «plus clément» que le quotidien de 2021.
«Aujourd’hui, nous sommes confrontés à la faim. Certains jours, je n’ai qu’un ou deux clients».
M. M.

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