A un peu plus d’un trimestre de la date des élections libyennes, législatives et présidentielle, censées marquer la fin d’une crise remontant à la chute du régime Kadhafi en 2011, on ne peut toujours pas affirmer qu’elles se tiendront réellement à la date arrêtée à cet effet, le 24 décembre prochain. Un point qui ne devrait pas faire problème alors qu’il ne reste que peu de temps d’ici cette échéance majeure, à quoi, qui plus est, toutes les parties, libyennes et non libyennes, se disent tout aussi attachées que lorsque le principe en avait été décidé, lors de la première conférence de Berlin en janvier 2020. A une aussi courte distance de la tenue de consultations pour le moins sortant de l’ordinaire, puisqu’elles doivent déboucher sur une Libye à la fois réunifiée et nouvelle, il ne devrait être question aujourd’hui que des sujets techniques s’y rapportant. Ou alors, à l’inverse, que de la nécessité qu’il y a de les reporter à une date plus lointaine, celle retenue s’avérant à l’expérience trop proche pour que toutes les conditions soient satisfaites préalablement. Il se trouve qu’on n’est ni dans le premier ni dans le second cas. Loin de porter sur les modalités techniques, les débats actuellement en cours, si tant est que ce terme soit juste, tournent encore autour de la base constitutionnelle sur laquelle ces élections devront reposer.
La Manul, la Mission onusienne d’appui en Libye, a réuni fin juin les 75 membres du Forum du dialogue libyen, en vue justement de leur faire adopter un texte ayant force de loi fondamentale, eu égard à l’absence d’une constitution, mais c’était pour voir combien les différends étaient profonds au sein de cette instance transitoire, pourtant créée de toutes pièces par elle. L’exercice ne s’est guère répété depuis, à croire qu’il a été concluant. Une partie des 75 étaient pour l’organisation des seules législatives le 24 décembre. Une proposition que tout le monde s’est fait un point d’honneur après cela de récuser, et plus que tous le gouvernement d’unité nationale dirigé par Abdelhamid Dbeibah, qu’on aurait pu soupçonner sinon de vouloir rester en place après le 24 décembre. Il faut se rendre à l’évidence : si l’échéance ne devient pas plus certaine à mesure qu’elle se rapproche dans le temps, c’est parce que des questions de fond ne sont toujours pas réglées. Or, ces dernières ne se posent pas seulement entre Libyens, mais également entre leurs alliés étrangers. Deux Etats de la région sont à observer de plus près, car c’est de l’issue de leurs négociations en cours que dépend la réussite ou l’échec du processus de Berlin pour la Libye. Ce sont, on l’aura compris, l’Egypte et la Turquie, en négociation en ce moment même pour le rétablissement de leurs relations diplomatiques. Leurs divergences portent sur trois points : les droits maritimes à l’est de la Méditerranée, la campagne médiatique des Frères musulmans égyptiens réfugiés en Turquie qui continuent de cibler le Caire, enfin la présence militaire turque en Libye, que rejette absolument l’Egypte. De leur point de vue commun, ces trois questions sont liées, interdépendantes. Il ne peut y avoir d’entente sur l’une que s’il y en a également sur les deux autres. Des deux, c’est la Turquie qui est la plus pressée de renouer avec l’Egypte. Des deux en effet, c’est elle qui a le plus besoin du soutien de l’autre, face en particulier aux appétits maritimes de la Grèce, à qui en cas de crise ne manquera pas le plein appui des Européens. La Manul table sur le patriotisme des factions libyennes pour les amener à composition. C’est là une condition nécessaire, mais elle n’est pas suffisante. La solution à la crise libyenne n’est pas seulement libyenne, elle est aussi égypto-turque.