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jeudi 30 mars 2023

L’historienne française Catherine Brun : L’étude de la guerre de Libération nationale «indissociable» de celle de l’ordre colonial

L’importance de ne pas dissocier l’étude des évènements douloureux de la guerre de Libération nationale de celle de la période d’occupation (1830-1962) et d’aborder cette guerre comme partie intégrante d’un système colonial a été mise en avant par l’historienne française, Catherine Brun, dans un entretien à l’APS.

Par Faten D./APS

«Ce qui me frappe ces dernières années, c’est la manière dont s’est lentement imposée la nécessité de ne pas dissocier l’étude de la guerre d’indépendance de celle de la période coloniale, et d’aborder les événements de la guerre comme parties intégrantes d’un système colonial», a fait observer l’historienne, auteure d’ouvrages sur la guerre d’Algérie, pour qui le déclenchement de la guerre de Libération nationale le 1er novembre 1954 «ne vaut qu’en tant qu’elle participe de la remise en question d’un ordre colonial dans la diversité de ses manifestations». L’historienne, qui se définit également comme une littéraire ayant travaillé sur des textes français et algériens écrits en français, relevant de genres divers, note que «le cap de l’irréparable semble avoir été franchi, 10 ans plus tôt, lors des évènements du 8 mai 1945, marqués par une répression sanglante des manifestations à Sétif, Guelma et Kherrata, lorsqu’un scout musulman arborant un drapeau algérien est abattu par un policier».
«Cela a déclenché des émeutes et une répression particulièrement meurtrière», menée par des colons et l’armée française ayant fait «quelque 20 000 morts», a-t-elle estimé.
Colonie française depuis 1830, l’Algérie, dont la guerre reste «un sujet brûlant», va mener le 1er novembre 1954 «pendant 8 ans un long combat vers l’indépendance», a expliqué Mme Brun auteure de «Guerre d’Algérie : les mots pour la dire», un ouvrage ayant rassemblé des textes émanant d’universitaires, d’intellectuels et d’artistes sur la guerre d’indépendance et la période coloniale. S’appuyant sur le contexte politique en France et en Algérie au déclenchement de la Révolution, l’historienne a ainsi noté que, durant cette période, «l’identité française de l’Algérie fait encore la quasi-unanimité des forces politiques, à l’exception de l’extrême gauche. Mais dans les colonies françaises, la révolte gronde», a ajouté l’historienne, dont certains de ses propos ont été repris par la journaliste française Esther Buitekant, dans un article intitulé «La Guerre d’Algérie : le long combat vers l’indépendance». L’historienne a, en outre, rappelé que le Front de libération nationale (FLN), dont la décision de la date du déclenchement la lutte armée a été prise en octobre 1954, «sort de l’anonymat dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954 et déclenche l’insurrection par une trentaine d’actions coordonnées».
Selon elle, cet évènement a été «à peine évoqué par la presse métropolitaine», soulignant que «le 7 novembre 1954, François Mitterrand, alors ministre de l’Intérieur, annonce toutefois solennellement ‘’L’Algérie c’est la France et la France ne reconnaîtra pas chez elle d’autre autorité que la sienne’’».

Le FLN exige l’indépendance par la restauration de l’Etat algérien souverain
A travers le déclenchement de la Révolution, le FLN exige «l’indépendance nationale par la restauration de l’Etat algérien souverain, l’ouverture de négociations et la libération des détenus politiques», a-t-elle dit, indiquant que «les hostilités militaires de cette guerre non déclarée ont eu lieu sur le sol algérien, et le déclenchement de l’insurrection n’a d’abord eu que peu d’échos en métropole». «Il faut attendre 1955 et les effets conjugués de l’instauration de l’état d’urgence et de la conférence de Bandung pour qu’une mobilisation s’amorce avec la création d’un Comité des intellectuels contre la poursuite de la guerre en Afrique du Nord», a-t-elle souligné. En ce sens, elle a précisé que «pendant les années de conflit, les saisies de journaux, de revues ou de livres se multiplient, afin d’éviter que le FLN et l’ALN (Armée de libération nationale) apparaissent comme des mouvements crédibles sur le plan militaire ou sur le plan politique». Parallèlement à ces actions, «une directive du général Allard en mars 1957 recommande d’utiliser dans toute l’Algérie les procédés employés à Alger et qui ont fait preuve de leur efficacité», a-t-elle estimé, ajoutant «qu’à partir de la fin de 1957, des centres de renseignement et d’action fonctionnent en différents lieux d’Algérie».
«La Bataille d’Alger, menée par le général Massu pour démanteler le ‘’terrorisme’’ urbain, légitime l’usage de la torture et annonce une grave crise morale», a-t-elle rappelé, ajoutant que «la torture, considérée comme un dérapage, a été érigée en système».
Poursuivant son récit, Mme Brun a indiqué qu’au début de l’année 1961, l’Organisation armée secrète (OAS) pour l’Algérie française a commis des attentats visant des personnalités intellectuelles en métropole.
Quelques mois plus tard, soit le 17 octobre 1961, «les violences policières en métropole explosent avec la répression sanglante de manifestations pacifiques à Paris, marquées notamment par des lynchages, exécutions sommaires et des corps jetés à la Seine», a encore rappelé cette historienne, auteure de l’ouvrage «Engagements et déchirements : les intellectuels et la guerre d’Algérie». Le 8 février 1962, une manifestation contre l’OAS et la guerre, qui a eu lieu à la station de métro Charonne à Paris, a fait 8 morts suite à une violente répression de la police. Ces manifestations demeurent une preuve irréfutable que le combat du peuple algérien pour son indépendance a été exporté en métropole.
F. D./APS

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