Jusque-là, quel que soit son parti-pris dans la guerre en Ukraine, chacun se doutait bien, à moins d’être d’une grande naïveté, qu’en fait elle n’opposait pas tant les Ukrainiens aux Russes, que ces derniers à l’Otan, elle-même aux ordres des Etats-Unis, dont le principal intérêt était dans cette affaire d’affaiblir la Russie autant que faire se peut, de préférence dans tous les domaines. En effet, ce conflit ne se serait jamais produit sans l’élargissement à l’est de l’Otan, continuel depuis des décennies. Il devait arriver un moment où la Russie se rebiffe, estimant que sa coupe était pleine, que toute nouvelle avancée de l’Otan dans sa direction était le début de son envahissement. Ce moment étant arrivé, la Russie a comme de juste envahi l’Ukraine, le prochain pays frontalier à basculer dans l’Otan si elle n’y avait pas mis à point nommé son holà. Près de neuf mois de guerre se sont soldés par la situation que tout le monde connaît, qui affecte le monde entier, plus ou moins gravement il est vrai, mais dont on voit déjà qu’elle ne serait pas supportable si ce qui l’a causée était appelé à se prolonger dans le temps. Dans toute guerre, il y a le temps des combats, puis celui de la négociation, les deux pouvant d’ailleurs se chevaucher lors du passage de l’un à l’autre.
Les Américains les premiers ont estimé que ce dernier était arrivé, que prolonger le précédent n’était pas dans leur intérêt, ni dans celui des Ukrainiens, ni d’aucune partie en Europe. Ils l’ont aussitôt fait savoir à Kiev, en lui conseillant d’abord d’éviter, la chose étant du mauvais effet à l’échelle internationale, de paraître repousser toute négociation qui ne soit précédée du retrait de tous les territoires occupés, et de l’autre de l’arrivée au pouvoir en Russie de quelqu’un d’autre que Vladimir Poutine. Ce conseil est du reste déjà dépassé, puisque maintenant ils engagent les Ukrainiens à faire des demandes réalistes, leur laissant entendre du même coup que tous les territoires occupés ne sont pas restituables, qu’il en ait qu’il n’est pas raisonnable de chercher à reprendre, la Crimée par exemple. Quant à faire du départ de Vladimir Poutine un préalable à la négociation, c’est tout simplement de la folie. Autant chercher à s’emparer de Moscou. Bien sûr les Américains ne le disent pas dans ces termes, mais l’esprit y est, à la façon dont ils s’y prennent pour amener les Ukrainiens à composition. Le monde, leur expliquent-ils, est plus que fatigué de cette guerre. Ceux-là mêmes qui sont leurs amis s’inquiètent de plus en plus des conséquences économiques et politiques sur leur propre stabilité interne. L’hiver est déjà là, qui peut être exceptionnellement froid, dans un contexte où la pénurie d’énergie n’est pas une simple vue de l’esprit. Au contraire, elle tendrait plutôt à se réaliser, en dépit des capacités théoriques, plus que suffisantes quant à elles. Janet Yellen, la secrétaire d’Etat au Trésor, a exprimé cela de la façon la plus simple, la plus éloquente, parce que la plus directe : l’économie mondiale irait beaucoup mieux si la guerre se terminait. Les Américains en sont encore, il est vrai, à dire que la négociation n’est pas leur affaire, mais celle des Ukrainiens, qui y viendront au moment choisi par eux. Mais ils n’envisagent déjà plus que les Ukrainiens s’y refusent encore pendant longtemps, sachant que les Russes ont déjà fait savoir leur disponibilité à s’y engager sans plus attendre.