La bataille de Bakhmout, Artyomovsk pour les Russes, toujours en cours, encore qu’il semble que cette fois-ci elle se termine bel et bien, présente deux aspects contradictoires. L’un c’est sa durée, qui en fait jusque-là la bataille la plus longue de la guerre en Ukraine. L’autre, c’est son peu d’intérêt stratégique, que tout le monde s’accorde en général à relever, à l’exception notable des Russes, qui achèvent de la remporter ; pour lesquels sans être décisive, elle n’est toutefois pas dénuée de tout intérêt stratégique. Logiquement, si une bataille dure aussi longtemps, c’est sûrement qu’elle a son importance pour la suite des opérations. Pour autant, les Russes eux-mêmes n’ont pas l’air de croire que prendre Artyomovsk, c’est s’assurer de la victoire finale. Les combats s’y poursuivent, qui se concentrent à l’ouest, où se sont repliées les forces ukrainiennes, mais, à ce que l’on sait tout au moins, avec moins d’intensité que par un passé encore récent.
Cela se comprend : les Ukrainiens ne peuvent pas vouloir tenir tête à l’avancée russe sur ce tronçon du front, et dans le même temps se préparer à la grande contre-offensive dont il est question depuis déjà pas mal de temps. C’est l’un ou l’autre. Ce ne serait l’un et l’autre que dans un seul cas, celui où la contre-offensive (reportée, semble-t-il, à début juin, pour des considérations climatiques entre autres) est lancée à hauteur de Bakhmout ou dans ses parages. Alors seulement on saurait pourquoi les Ukrainiens ont défendu cette ville avec autant d’acharnement. Quel que soit le moment où elle débutera, en mai ou en juin, ou même plus tard, la contre-offensive est condamnée au succès, autrement elle tournera à la débâcle. Les Ukrainiens n’ont plus le droit à l’erreur, ils le savent, eux aussi bien que leurs alliés. Succès dans ce cas ne veut pas nécessairement dire victoire sur la Russie, ce que désormais personne n’envisage sérieusement. Il n’en reste pas moins que les conséquences ne sont pas les mêmes selon que les forces ukrainiennes enfoncent les lignes de défense russes, ou qu’elles n’y parviennent pas. Le premier scénario sera une sorte de répétition de la première contre-offensive ukrainienne, laquelle a permis à Kiev de reprendre quelques-uns des territoires cédés à la Russie au cours de la première phase de la guerre. Le deuxième ouvrira la voie à une contre-offensive russe, dont on ne sait pas grand-chose pour l’heure, mais dont on peut être certain qu’elle aura lieu. Plus le temps passe, et que l’heure de l’attaque ukrainienne se rapproche, plus le sentiment se précise que les appréhensions des Occidentaux ont tendance à croître. D’une certaine façon eux non plus n’ont pas le droit à l’erreur. Une contre-offensive qui échoue est une catastrophe pour eux aussi. Ils se doutent bien que les Russes ne se contenteront pas de repousser l’attaque ukrainienne, mais que dans ce cas ils riposteront en lançant leur propre offensive. Sur quelle région de l’Ukraine porteront-ils leur effort, avec l’intention de la prendre puis de l’annexer ? Les Américains sûrement ont leur idée là-dessus. L’importance de l’Ukraine pour les Russes réside dans ses débouchés maritimes. En 2014, ils ont repris la Crimée. Au début de la guerre actuelle, ils se sont assurés du contrôle complet sur la mer Azov. Demain, s’ils doivent repartir à l’attaque, ce sera probablement pour prendre Odessa, et ce qu’il reste de rivages ukrainiens sur la mer Noire.