Mercredi dernier, pour la première fois depuis le début de la guerre en Ukraine, Américains et Russes se sont trouvés directement aux prises, sans Ukrainiens interposés par conséquent. Et la rencontre n’a pas été sans donner lieu à des étincelles bien qu’il n’y ait pas eu échange de tirs. Un drone américain maraudait au-dessus de la mer Noire quand deux avions russes l’ont surplombé, avant de le forcer à décrocher en tirant sur lui non pas des projectiles mais des jets de carburant. L’engin de surveillance, susceptible néanmoins de porter des missiles à téléguidage laser, est parti en vrille avant de s’écraser en mer. Les Russes ont justifié leur acte en disant que le drone avait violé, à vrai dire non pas leur espace aérien, mais la zone d’exclusion aérienne qu’ils s’étaient arrogée d’autorité depuis le début de leur « opération spéciale » en Ukraine, chose qu’ils avaient portée à la connaissance de tous en empruntant pour cela les voies ordinaires. L’engin, ont-ils ajouté, volait non loin des côtes de la Crimée, occupé qu’il était à collecter des informations destinées aux Ukrainiens, qui eux s’en serviraient pour attaquer des cibles russes.
Les Américains ont pour leur part invoqué le fait que leur appareil ne volait pas dans l’espace aérien russe, qu’il a du reste été victime non pas de la volonté des Russes d’en découdre avec eux mais de leur manque de professionnalisme (entendre : leur intention première n’était pas de le détruire mais seulement de l’éloigner de leurs côtes). De toute façon, ont-ils ajouté, c’est peine perdue de la part des Russes, ils ne mettraient pas fin à ce genre d’opérations pour si peu. Ils continueraient à envoyer des drones surveiller ce que font les Russes, mais cependant au-dessus des eaux internationales, conformément aux intérêts de leur propre sécurité nationale. Reste qu’ils se sont gardés de faire savoir qu’ils se réservaient le droit de prendre les meures qui s’imposaient en pareilles circonstances, c’est-à-dire qu’ils le feraient bientôt payer aux Russes. Les Russes eux-mêmes ont pris soin de ne pas tirer de vrais projectiles sur le drone, se contentant de l’asperger de liquide, comme s’ils tenaient à ce que les Américains ne se sentent pas après cela obligés de leur rendre la pareille, ce qui pourrait provoquer une véritable guerre entre eux. Ainsi donc, Russes et Américains conservent malgré tout de la retenue. Ce sont toutefois les premiers qui en ont fait preuve le plus depuis le début de la guerre. Ils se sont fait abondamment espionner par les Américains, non pour eux-mêmes mais pour les Ukrainiens. Ils ont vu leurs gazoducs Nord Stream sabotés par les Américains, un véritable acte de guerre resté sans réponse, jusque-là en tout cas. Ils ont subi des Américains et de leurs alliés des sanctions économiques d’une sévérité extrême, conçues pour jeter bas leur économie et leur faire perdre la guerre dans les plus brefs délais. L’attaque du drone est somme toute leur première réaction au harcèlement incessant et multiforme des Américains depuis maintenant plus d’une année. Pour la première fois une arme américaine a été détruite par les Russes, qui plus est dans une circonstance directement liée à la guerre. Pas une goutte de sang américain n’a été versée à cette occasion, et pourtant la situation n’est plus la même.