Par les temps dangereux qui courent, on ne dit plus d’une banque qu’elle est grande ou petite, en référence bien sûr au volume de ses actifs ou de son bilan, mais qu’elle est systémique, ou qu’elle est régionale, ou moyenne, quand elle n’est pas systémique. Systémique veut dire trop importante mondialement pour la laisser mourir, si son heure est arrivée, sans courir par là même le risque de la voir entraîner tout le système bancaire et financier mondial dans sa chute. Les régulateurs peuvent, ils sont même tenus de laisser une banque régionale, ou spécialisée, faire faillite, si le marché l’a condamnée à périr, ou sinon lui, sa clientèle qui a perdu confiance en elle, mais ils n’ont d’autre choix que de sauver les banques systémiques, quand bien même elles mériteraient largement par la faute de leurs gestionnaires de connaître le même sort. Tout récemment, le régulateur américain a laissé faire faillite deux banques moyennes ou régionales, Silicon Valley Bank et Signature Bank, mais au prix d’une entorse à la règle en matière de garantie des dépôts qui à elle seule en dit long sur sa crainte que la frontière entre grands et petits établissements bancaires ne soit plus aussi nette qu’autrefois.
Jusqu’à ces deux faillites, la FDIC, l’agence américaine de garantie des dépôts, n’assurait qu’à la hauteur maximale de 250 000 dollars. Au-delà, c’est au propriétaire du compte d’assumer les pertes. L’une des particularités de la SVB, c’est que plus de 90% de ses clients avaient des fonds supérieurs à cette somme. Pour autant, ce n’est pas cette considération qui a amené les autorités américaines à garantir tous leurs dépôts, mais la peur que les clients des autres banques, pourtant réputées en bonne santé, se comportant comme ceux des banques en faillite, se hâtent de vider leurs comptes. Bien que SVB et Signature Bank ne soient pas considérées comme de grandes banques, leurs faillites ont été traitées comme si elles l’étaient. Pour empêcher la contagion, les régulateurs ont étendu leur garantie non seulement à leurs comptes mais à tous les comptes existant dans tout le système bancaire américain. Pour savoir aujourd’hui qu’une banque est en train de tomber, ce n’est pas compliqué, il suffit de voir l’ampleur du recul de son action. En Europe, dans le contexte créé par la faillite des deux banques américaines, c’est le Crédit suisse, la banque aux 1001 scandales, comme on l’appelle parfois, qui a vu son action s’effondrer. Le Crédit suisse est une banque systémique, à la différence des deux banques américaines liquidées. Il fallait donc à tout prix le sauver. C’est d’autant plus facile que sa capitalisation boursière était en chute libre. Branle-bas général cependant des régulateurs des deux côtés de l’Atlantique pour le sauver, non pas lui à vrai dire mais le système financier mondial, c’est-à-dire ses rivaux, pourtant résilients comme on dit aujourd’hui pour rassurer le client pris dans sa généralité. S’agissant de lui, son repreneur est tout trouvé : son rival de toujours UBS, qui consent à le racheter pour le prix d’une bouchée de pain. Le Crédit suisse tremble sur ses fondements depuis des années. Il mourrait moins de ses fautes de gestion que de sa mauvaise réputation. La levée du secret bancaire l’a dénué, l’exposant dans sa nudité hideuse. Il a fallu pourtant attendre que deux banques régionales américaines expirent pour que ses clients se décident à lui retirer leur confiance, de peur qu’il ne les entraîne dans sa chute.