La réunion d’hier, tenue sur la base américaine de Ramstein en Allemagne et impliquant une cinquantaine de pays alliés de l’Ukraine dans sa guerre contre la Russie, semblait avoir pour but véritable non pas de s’entendre sur la nouvelle aide militaire commune à apporter à l’Ukraine mais uniquement de forcer la main de Berlin à envoyer les chars d’assaut Leopard 2 que Kiev ne cessait de réclamer ces derniers temps, mais qu’il rechignait à livrer. A quelques heures de la rencontre, le tout nouveau ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, a contre toute attente mis une nouvelle condition à cette livraison, disant que son pays voulait bien faire ce qu’on attendait de lui si les Américains faisaient de même en envoyant des exemplaires d’Abrams, leur équivalent du Leopard. Les Américains ayant déjà fait savoir qu’il n’entrait pas dans leur intention de donner à l’Ukraine, du moins pour le moment, des chars lourds mais seulement des chars légers, on voit bien que tout l’intérêt de la concertation d’hier était de passer cette difficulté entre alliés, en clair de se mettre à plusieurs pour amener les Allemands à faire ce que laissés à eux-mêmes ils ne songeraient peut-être même pas à faire. A noter cependant que les Américains ne sont pas les seuls à ne pas vouloir livrer à l’Ukraine des chars de combat, les Français eux aussi ayant fait savoir qu’ils tenaient à garder tous leurs Leclerc, et que se séparer d’un seul créerait un trou dans leur dispositif qu’ils auraient ensuite du mal à combler. Parmi les Occidentaux, les Britanniques s’étaient au contraire empressés d’annoncer l’envoi de plus d’une dizaine de leur Challenger. Ce qui d’ailleurs n’a pas l’air de beaucoup surprendre les autres, qui suggèrent que c’est parce qu’en fait ces chars sont en trop, leurs forces armées s’étant reconfigurées dernièrement autour de la marine. Les Finlandais, les Polonais, les Canadiens, et peut-être d’autres encore, eux par contre s’étaient dits prêts à envoyer leurs propres Leopard si l’Allemagne n’y voyait pas d’inconvénient. Ce qui n’est pas simplifier les choses à cette dernière mais les lui compliquer, étant donné que ce qu’elle veut évier justement, c’est que ce soit ses chars de combat à elle qui les premiers seraient alignés contre les Russes. Pour les Allemands, c’est précisément cela le but recherché par les alliés, les pousser aux premières lignes, de façon à ce que les Russes concluent qu’ils sont bien en guerre contre eux. Or, si les Ukrainiens insistent pour qu’on leur envoie ce genre de matériel, c’est évidemment pour passer à l’attaque, pour se lancer dans l’offensive, tenter de percer les lignes russes, et cela jusqu’à la mer d’Azov si tout se passait bien. Les Américains et les Britanniques les encouragent de plus en plus ouvertement à sortir de leurs tranchées, à s’élancer à la reconquête de leurs terres occupées, dont la Crimée, pour ne pas dire elle tout la première, eu égard à son importance aux yeux des Russes. Bien des analystes réputés, dont Condoleeza Rice, l’ancienne secrétaire d’Etat, qui a collaboré récemment à un article sur ce thème, ont fini par se convaincre que le temps ne travaillant pas pour l’Ukraine mais au contraire pour la Russie, la seule façon qui reste à cette dernière de redresser la situation à son avantage, c’est de passer à l’offensive, ce qui naturellement suppose un réarmement adapté.