S’il existe aujourd’hui un endroit dans le monde qu’on a intérêt à surveiller de près parce que ce qui s’y déroule peut à tout moment se développer en un conflit aux répercussions mondiales, c’est la région aux confins de l’Ukraine et de la Russie, où cette dernière a déjà massé l’équivalent d’une force d’invasion. On croit assister à un remake des événements de début 2014, dont on se rappelle à quoi ils avaient abouti : à l’annexion de la Crimée, alors qu’on avait les yeux rivés sur l’agitation politique à Kiev et sur le Donbass. Sept ans plus tard, la tension entre les deux pays est de nouveau à son comble, leurs deux armées sur le pied de guerre, dans le même temps où les Etats-Unis, l’Otan et l’Union européenne, promettent à Moscou les pires sanctions si ses forces passent la frontière. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui s’exhibe en tenue militaire, croit savoir que l’invasion aura lieu au début de 2022, janvier ou février, la même période de 2014 ayant vu la Russie reprendre la Crimée dans son giron. C’est que sept ans après, les causes ayant conduit à cette annexion-récupération sont toujours à l’œuvre. Elles se sont même aggravées, l’Otan ayant dans l’intervalle poussé plus loin son dispositif d’encerclement de la Russie, dont toutes les pièces ne se trouvent pas en Ukraine, mais disséminées partout où l’emprise russe a cédé la place à l’influence occidentale, suite à l’effondrement de l’Union soviétique : pays baltes, Géorgie, Moldavie, Ukraine. Tous ces pays soit sont déjà membres de l’Union européenne, soit ils demandent à le devenir, tout en aspirant à faire partie un jour de l’Otan, estimant que cette appartenance est la seule à pouvoir les protéger contre les empiétements de la Russie. Si en 2014, et avant cela en 2008, lors de la crise géorgienne, qui avait déjà donné lieu à une intervention militaire russe, ce sont des différends russo-ukrainiens qui avaient conduit à l’annexion de la Crimée, ce n’est pas exactement de la même façon que se présente la crise d’aujourd’hui, même si en apparence elle aussi met aux prises la Russie et un membre de la défunte Union soviétique. La différence aujourd’hui c’est qu’on voit se profiler l’ombre de l’Otan derrière l’Ukraine. Ce ne sont pas comme en février 2014 des événements survenant en Ukraine qui sont à l’origine de la tension actuelle, mais les menées de l’Otan aux frontières de la Russie. Après l’effondrement de l’Union soviétique, il semble que pour l’Otan, l’instrument privilégié des Etats-Unis, la tâche à venir est le démantèlement de la Fédération de Russie. Pour le camp occidental, la Russie n’est plus une superpuissance. Elle l’était tant qu’elle était à la tête d’un camp. Les Etats-Unis restent une superpuissance parce qu’ils n’ont pas cessé de dominer le leur. Ce sont eux qui entourés de leurs alliés, ainsi que de ceux qui ne demandent qu’à l’être, font des exercices militaires, pour ainsi dire au nez et à la barbe de la Russie, comme s’ils s’entraînaient à l’envahir, aspirant déjà à se partager ses dépouilles. Du temps de l’Union soviétique, c’était elle qui s’approchait dangereusement des côtes américaines. Les Occidentaux savent bien que ce n’est pas pour envahir l’Ukraine qu’elle concentre des forces à la frontière avec elle, mais pour amener les Etats-Unis à la table des négociations. Encore qu’elle puisse le faire si ces négociations lui sont refusées. Pour autant, même alors elle n’en aura pas fini avec l’encerclement dont elle est l’objet.
Mohamed Habili