Si l’abstention est dans l’ensemble élevée le 12 juin prochain, il n’est pas dit qu’elle sera du même ordre partout dans le pays. Elle sera probablement différente, car telle est la règle, dans les villes et les campagnes, nettement moindre dans celles-ci que dans celles-là. Différente aussi selon les catégories d’âge, les séniors votant traditionnellement davantage que les jeunes, ce qui n’est d’ailleurs pas particulier à l’Algérie. Les électeurs des principaux courants politiques nationaux seront sans doute au rendez-vous, car pour eux l’enjeu est important, vital même. A l’inverse, ceux des partis ayant opté pour l’abstention s’abstiendront, ce qui ne sera pas pour étonner. Mais comme ils sont minoritaires, et pour certains sans implantation, comme en témoignent leurs grandes difficultés à récolter pour leurs candidats le nombre de signatures nécessaire, l’abstention directement de leur fait ne devrait pas peser lourd dans la balance. Le vrai problème à cet égard, c’est celui que risque de poser la Kabylie, qui pourrait pour la troisième fois consécutive se tenir tout entière à l’écart de l’opération de vote, ce qu’elle a fait à la fois lors de la présidentielle et du référendum constitutionnel.
Encore faut-il se garder de mettre dans le même sac les trois wilayas qui la composent, l’une d’entre elles, Bouira, ayant pris part à ces deux consultations dans la même proportion qu’Alger, par exemple. Quand la participation confine à zéro quelque part, ce n’est pas d’abstention qu’il convient de parler mais de boycott. Parmi les formations politiques ayant opté pour la non-participation, il se trouve que les plus importantes au point de vue électoral sont à implantation kabyle, le RCD et le FFS. Le boycott ne peut être qu’actif, à la différence de l’abstention. Jusque-là toutefois, la campagne électorale dans cette partie du pays s’est déroulée sans que des incidents soient rapportés, on dirait dans une indifférence surjouée. Le scrutin peut être à l’avenant. Reste qu’il n’est jamais bon pour la stabilité d’un pays qu’une région se démarque trois fois de suite pour un motif politique. Cela serait d’autant plus préoccupant que dans les deux wilayas en question, Tizi Ouzou et Béjaia, il doit y avoir aussi bien des islamistes que des nationalistes, dont les différents partis appellent quant à eux à la participation massive. Le FLN, le RND, le MSP, et d’autres encore, ayant des militants dans ces deux wilayas, l’abstention devrait être moindre que lors des deux occasions précédentes, quand bien même elle serait plus marquée qu’ailleurs. Si tel n’était pas le cas, alors cela voudrait dire que ces deux wilayas sont un cas à part, que politiquement parlant elles ne présentent pas le même tableau que le reste du pays. On peut aborder la question autrement et se demander si en fait Tizi Ouzou et Béjaia n’ont pas basculé dans le berbérisme, l’antichambre du séparatisme. A l’origine, le berbérisme était une rare maladie infantile apparue en Kabylie dans les recoins les plus sombres du PPA-MTLD. S’il avait la moindre légitimité historique ou politique, c’est à ce moment qu’il serait sorti à l’air libre, qu’il se serait déclaré pour ce qu’il était, un rejet sans appel de l’arabisation pourtant déjà achevée de l’Algérie. Ce qu’il s’était bien gardé de faire alors, sachant le sort qui lui aurait été réservé en Kabylie même. Ce n’est pas le FLN qui a arabisé l’Algérie, mais quatorze siècles d’histoire.